Same same but different
Cette
phrase est probablement THE phrase-choc du monde commerçant à touristes dans le
Sud-est asiatique. Tellement populaire qu’il s’en vend des t-shirts avec
l’inscription Same same sur le torse
et Different sur le dos. Tout cela
pour dire « on vend le même produit qu’à côté mais quand-même un peu
différent » c’est-à-dire mieux. Enfin d’après eux.
J’avais
donc envie de vous parler de commerce touristique et de l’art qui
l’accompagne : le marchandage. Car on vit avec depuis le départ.
Si
le marchandage n’est pas qualifié de plus vieux métier du monde (on connait
l’heureux élu), il ne doit pas en être bien loin, sur le podium c’est sûr, la
pêche à la mouche complétant probablement le tiercé. En tout cas il nous a
suivi tout au long de notre route, excepté probablement en France et en Italie
(mais que ça démange).
Il
faut bien comprendre que marchander est une nécessité. Si l’on ne négocie pas
dans ces pays on se fait littéralement arnaquer. (Mais alors, dans les pays où
l’on ne peut pas marchander, on se fait arnaquer aussi ?! Je ferme la
parenthèse). Et si l’on n’avait pas discuté les prix tout au long du voyage on
serait vite entré dans le rouge financièrement. Sachez que tout ou presque est
négociable, du prix officiel du ticket de bus, au prix du menu sur la carte en
passant par la chambre d’hôtel bien sûr et les cadeaux plus attrapes-touristes
que jamais.
Ça
se déroule généralement ainsi : le local voit arriver le foreigner, à savoir la proie. On devient son ami très rapidement
« My friieeeeennd ». De nôtre côté, il faut jouer les gars détachés,
comme si nous venions tous les ans dans leur bled. S’engage alors un rapport de
force ou l’on sait rapidement qui a prit l’ascendant, qui a le plus besoin du
service/de l’argent. C’est parti.
Les principes, la session des
« toujours »
Comme
toute loi économique, la négociation est régie par des principes. En voici
quelques uns :
- Comme on l’a dit, quel que soit l’achat, il faut marchander, toujours. Et si en définitive ils vendent c’est bien qu’ils se font de l’argent. Ne pas pleurer sur leur sort mais pour autant, ils ne roulent pas tous sur l’or, donc leur laisser un mini pécule de bénéfice. Certains touristes sont vraiment des rats.
- Ne jamais s’attendre à ce qu’il y a affiché dans les catalogues, les menus,… Au mieux vous aurez une bonne surprise. De même, l’imaginaire nous joue parfois des tours. A notre arrivée en Chine, Charpi voulant acheter un chapeau, il regarde la provenance : Made in Thailand ! Quel escroquerie généralisée, on nous aurait menti depuis le début ?
- Toujours recompter son argent lorsque l’on vous rend la monnaie. C’est certainement le seul point négatif que j’ai retenu du Vietnam, trois fois on a tenté de m’avoir. Bien sûr, à chaque fois, accepter les plates excuses, c’était évidement tout à fait involontaire.
- Si concurrence proche, toujours comparer les prix avec le voisin. De manière générale, diviser par deux ou trois selon les pays, sinon plus. Le mieux : avoir les conseils d’un local ou d’un expatrié qui connait les vrais prix.
Tout en couleurs ce birnan |
En
fin de compte, un bon deal revient à satisfaire les deux parties. Quand tout le
monde est content, quand tout le monde pense avoir gagné. A partir de là, une
bonne poignée de main et tout le monde repart la tête haute. Mais bon si le
vendeur a un grand air satisfait, c’est certainement bon signe pour ses
comptes.
Au
contraire un deal qui a du mal à se faire c’est lorsque personne ne veut
lâcher. L’un pense qu’il paye trop cher, l’autre pense qu’il va pouvoir
arnaquer le gars, que ce dernier va lâcher au bout d’un moment. Parfois ça
s’éternise un peu trop, chacun ayant le temps devant lui, et ça tourne presque
mal. Comme avec les taxis kirghizes ou les proprios de bus (vitre cassée incluse)
en Thaïlande, qui ont le sang chaud et qui le font savoir. Dans ces cas là,
soit le prendre en rigolant (car c’est drôle) soit répondre en français.
Ce
qui est sympa, c’est quand on a des choses à vendre ou qui intéressent les
locaux. Par exemple lorsque l’on taillait la route avec nos meules au Cambodge
et au Laos. On avait des propositions tous les jours, et à des prix tellement
dérisoires. Oui eux non plus ne s’embêtent pas ! Ça nous a aussi désinhibés
pour la suite des négociations.
Relativement
rares mais ça arrive, les commerçants honnêtes. Et ça surprend ! On arrive
souvent chauffés à blanc et le Gabert nous donne le vrai prix. Ah bon ?! Même
pas drôle.
Petite
précision, sachez que beaucoup de locaux s’appellent Gabert. Un phénomène tout
à fait particulier, et quelque soit les pays traversés.
On se fait arnaquer, un point pour eux
Visages
pâles, on attire le regard du local qui souhaite nous vendre ses plus beaux
produits à des prix ultra-compétitifs. Mais s’ils le peuvent ces experts en la
matière ne se priveront pas de nous faire casquer un peu plus que leurs chers
concitoyens autochtones.
Il
est mieux d’avoir des infos sur le pays où l’on arrive, savoir comment se porte
le commerce et se comporte le commerçant. Mais dans presque tous les pays où
nous sommes entrés on s’est fait avoir le premier jour. Il est difficile
d’apprécier l’honnêteté du vendeur d’une nouvelle contrée et on a souvent
tendance à être bonne pomme en pensant qu’il dit vrai. Ou alors on ne souhaite
pas trop rentrer dans le tas dès le début. Le lendemain, on se rend compte
qu’on s’est fait flouer et on change notre fusil d’épaule, on passe de touriste
à négociant.
Combien la casquette Benjo d'Albanie ? |
Ces
vendeurs sont bourrés de talents, notamment la prédisposition au jeu d’acteur.
Comme je l’écrivais il y a quelques mois sur notre « passeur » pour
le Pakistan, certains sont de très bons arnacteurs.
Ils ont souvent de très belles histoires pour vous embobiner… Avec cela,
certains vous font culpabiliser comme jamais, tu as l’impression que leur
avenir dépend de ce seul achat « aaaahhhh nooooo, good for you not good
for me ». Mais tu vois l’escroquerie arriver quand le voisin livre
exactement le même discours. Si certains peuvent postuler au prochain
Spielberg, d’autres sont quand-même assez mauvais, faut le dire, ils ont un peu
du mal à se renouveler.
Notre
première vraie belle arnaque a eu lieu en Albanie je crois, quand on a payé un
long trajet en bus au moins deux fois le prix… Encore que deux semaines avant,
un gars à Mostar en Bosnie-Herzégovine, nous avait fait pleurer en nous
comptant ses histoires de guerres et en réclamant quelques euros à la fin.
Pourquoi pas, mais on ne sait jamais s’il dit vrai, s’il est vraiment dans le
besoin… En Albanie également, on passe une belle soirée Euro de foot et sortie
tardive. A la sortie de la boite, un petit Gabert d’une dizaine d’années
commence à vouloir me vendre des babioles en me parlant anglais. Fin d’esprit
comme je pense l’être, je l’enchaine en français en m’excusant de ne pouvoir
saisir ses propos. Le saligaud me répond dans la langue de Molière !
Piégé ! Je le ré-enchaine en italien, bim il me la remet en rital. Mes
quelques mots en espagnol ? Pareil. Foutu, je suis à court. A l’époque je
ne parlais ni turque, ni farsi, ni chinois, nippon. Ça c’est du marchand moderne,
bravo garçon !
Certains
vendeurs plus malins que les autres utilisent un argument difficilement parable
quand on ne connait pas le pays ou le produit : « c’est le même
prix pour toi que pour les locaux ». Et quand tu ne peux pas vérifier,
t’as plus vraiment d’argument, surtout s’il n’y a pas de concurrent dans les
parages ou que tu as vraiment besoin d’acheter ce produit ou service. Foutu
encore une fois.
Parfois
on se fait avoir aussi quand du premier coup ils nous donnent le prix que l’on
souhaite ! On a donc surévalué l’achat mais il est trop tard car on est
prit au dépourvu, on ne peut pas marchander de nouveau. Là c’est de notre
faute. Donc, en gros, toujours donner encore plus bas que ce que l’on croit
être un bon prix.
Le
marchandage dépend aussi de l’article en question. Pour acquérir nos motos au
Cambodge par exemple, ça a été une vraie galère, il a fallu que je prenne sur
moi. En terme de deux-roues à moteur, ils ne lâchent rien, j’ai accroché moins
de 10% je crois. Une honte j’ai envie de dire mais pas totalement, l’expat’
français qui nous aidait dans l’achat nous affirmant que le secteur est très
difficilement porté à la négociation.
Mais
parfois avec Charpi on aime ça, se faire arnaquer, ou en tout cas rentrer dans
le jeu du négoce. Le plus bel exemple s’étant déroulé à Kashgar, dans l’ouest
chinois. En parcourant le bazar du coin, un Gabert nous hèle pour nous vendre
ses magnifiques couteaux ouïghours. Comme pour tous les autres commerçants, on
le remercie gentiment puis on file. Au retour on repasse devant, il nous
rebranche. « Arf, allez pourquoi pas, on va aller voir ce qu’ils valent
ces shlasses ». En effet ils ont la classe. Mais surtout Gabert nous est
fort sympathique, il est drôle et sérieux à la fois, et fin démonstrateur de
ses produits « regarde comme je me rase tout le mollet avec cette
lame de compétition. » Malgré les prix assez élevés en dépit d’une vente
bien négociée entre les deux parties, nous sommes tout heureux avec Charpi de
cet achat. Pour le produit mais presque encore plus pour le contact avec le
vendeur. Par contre il ne nous a pas dit
qu’il était interdit de transporter ces couteaux dans le pays. Il nous aura
fallu deux chinoises bien attentionnées et des mois de transports pour les
acheminer jusqu’à notre mère patrie (à ce jour ils ne sont toujours pas arrivés
d’ailleurs).
Le
meilleur arnaqueur étant celui qui allie tout à la fois : il se trouve à
la frontière de son pays ou presque, il a de belles histoires parfois en te
faisant culpabiliser, il parle plusieurs langues, il est sympa (ce qui ne le
classe pas vraiment en escroc), il nous dit que c’est le même prix que pour les
locaux… Celui-là c’est un champion.
Marchand de tapis |
En
dehors de quelques expériences positives comme celle du coutelier, le problème
c’est que l’on devient un peu parano et méfiant envers tous les commerçants. On
a l’impression que tout le monde nous escroque ! Quoi qu’il en soit,
l’idée est de négocier dans la bonne humeur, c’est un jeu, et si l’on n’est pas
content du prix, on prend la tangente. De même, si l’on sait qu’on se fait
arnaquer et qu’on n’a pas le choix, que l’on doit acheter, eh bien tant pis,
c’est l’jeu ma pauvre Lucette ! Bon, parfois ça énerve soyons honnêtes, et
là mieux vaut avoir une vitre à côté de soi plutôt que quelqu’un.
Un
beau négoce, c’est quand ça se passe dans une bonne ambiance et que tout le
monde est ravi à la sortie.
On a du répondant, un partout balle au
centre
Après
quelques mois, on a quand-même bien progressé dans l’art du marchandage. Et on
a pu apprendre quelques méthodes nous rendant la vie plus facile. Voici
quelques fondamentaux pour vous aider lors de votre prochaine
négociation :
- Il est plus aisé de négocier lorsque l’on parle quelques mots de la langue du pays. On passe moins pour un bon gros touriste consommateur, mais plutôt pour un admirateur du pays, de sa culture et de ses Hommes. En les prenant ainsi par surprise, ils s’attendrissent.
- Vérifier deux fois le produit vendu. Comme au Vietnam où les magasins North Face fleurissent à tous les carrefours. Faux, pas faux ? Le plus simple est de vérifier par soi-même la qualité des coutures. J’ai testé deux fois, ça a craqué deux fois. Faux.
- Se servir de sa carte de la sécu afin de justifier son statut d’étudiant. Beaucoup plus aisé si le pays concerné utilise un autre alphabet et que le niveau d’anglais des guichetiers n’est pas transcendant.
- Si on sait que l’on se fait arnaquer mais que l’on a plus le choix dans l’achat du service/produit, arnaquer le vendeur à son tour. Lui soutirer quelques piécettes par exemple, sans qu’il n’en sache rien. Il croit nous avoir eu, on s’est un peu rattraper sur son vol, tout le monde est content.
- Le travail de groupe. Les semaines et négoces passants, on a apprit à bosser en équipe. Le plus souvent, il convient de jouer au méchant et au gentil. On faisait ça à tour de rôle. Le premier arrive, tout gentil « merhaba, salaam, ni hao, sabaydee… » il engage la conversation, la négociation… et le second attend derrière, fait la gueule déjà avant de savoir le prix. Lui n’est pas sympa, jamais content du résultat. Ça marche assez bien ! Mais on n’est pas les seuls à l’utiliser cette technique. Avec mon histoire de vitre de bus c’était pareil chez les flics avec des gentils et des nerveux. J’ai bien capté leur manigance en direct mais là c’était une autre histoire.
- Autre approche dans la négociation, tenter de faire culpabiliser le vendeur. Un peu la spéciale de Charpi avec au bout de quelques minutes de négociation le fameux « mon père n’est pas un riche américain, je ne suis pas le fils de Coca-Cola bla bla bla ». Relativement efficace.
- Efficace également quand cela s’envenime un peu, passer dans sa langue natale. S’énerver, lui sortir exactement les mêmes arguments mais en français, Gabert est alors prit au dépourvu et l’on reprend un peu le dessus.
Si vous avez vu le film Argo, vous avez vu cette rue du bazar de Tehran |
Quelque
soit le type de négociation, l’idée est de surprendre l’adversaire. Il lui faut
de la nouveauté, soit pour lui faire plaisir et l’amadouer, soit pour le
prendre au dépourvu.
Et
on a progressé bien sûr. Par exemple, pour mon séjour à la Baie d’Halong au
Vietnam, sur le bateau d’une vingtaine de personne, j’étais celui qui avait le
mieux négocié, et de loin. Lors de la Full Moon Party en Thaïlande, j’ai continué mes habitudes de tourdumondiste
à marchander tout ce qui s’achète. Je passais un peu pour un hurluberlu dans
cette île où les gens viennent pour dépenser leur argent l’espace de vacances
de trois-quatre semaines, mais au bout du compte tout le monde était bien
content quand je parvenais à nos fins.
Le marchandage ça
fait vraiment partie du voyage, de ce voyage. Au-delà de toutes ces petites
anecdotes et pitreries, c’est un réel plaisir où s’installe la plupart du temps
un échange chaleureux et humain entre deux inconnus étrangers. Cela étant surtout
vrai dans les pays où les touristes se font rares. Et je le répète, une bonne
négociation, c’est lorsque tout le monde est ravi à la fin, avec un bon serrage
de mimine.
Le frelon d’or : Un grand moment d’arnaque et de rigolade en
Ouzbekistan. A la sortie d’un taxi collectif sur la route de la frontière
kirghize, mécontent du retard conséquent de ce taxi, et à la limite de rater le
passage à la frontière en raison de l’heure tardive, je ne donne que 100
billets au pilote au lieu des 105 prévus (pendant que Charpi marchande le taxi
suivant). Evidement il fait la gueule, me le fait savoir, commence à me parler
de plus en plus prêt et de plus en plus fort, ce qui est tout à fait illogique
soit dit en passant. Je n’ai pas l’attention de lâcher et lui fait comprendre
qu’il nous a un peu roulé dans la farine avec ses promesses de gascons.
Ça
s’envenime gentiment et je mets mon option langue maternelle en route, en
français dans le texte (édulcorés pour les bienfaits de cet article)
« cessez de nous prendre pour des imbéciles, vous nous racontez des
salades depuis le début, vous n’avez pas tenu votre promesse de temps et de
loin, on ne vous paie donc pas le montant sus-négocié, je m’en steak de tes
faux arguments etc ». Et là messieurs et dames devant vos oreilles
ébahies, le gars nous sort (devant une dizaine de gars qui s’étaient attroupés)
« je m’en steak » avec un accent parfait, une diction limpide, un
sérieux digne d’une réunion au Grand Lyon. Et là avec Charpi on est tombé mort
de rire, c’était parfait pour détendre l’atmosphère, on a toujours pas payé les
cinq soms quémandés mais on s’est
bien marrés, eux comprit.
Non mais helo quoi ?! |
La pompe à vélo : Bien sûr on s’est fait arnaquer un peu de partout ça
fait partie du jeu et c’en est presque marrant avec le recul. Cependant sur les
deux premières marches des arnaques un peu difficiles à digérer sur le moment,
on mettra le coup des faux visas pakistanais et la vitre du bus thaïlandais. « Bravo »
à eux.
Le Fun : En visite dans la moyenâgeuse cité de Bagan en
Birmanie, je fais front devant les vendeurs à la sauvette qui lancent des yes sir ou des buy for me à tout va. Attiré du regard par quelques peintures sur
sable d’un jeune birman, celui-ci commence à me vendre ses produits en anglais.
Malgré mon exceptionnel accent de la perfide Albion, il repère que je mange des
grenouilles et me lance timidement en français un « té main sert ta
lequer » ou quelque chose comme ça. Tout comme vous je n’ai rien comprit,
je lui ai donc demandé de répéter ses dires et là je percute après son deuxième
essai, toujours aussi timide et confus : « c’est moins cher qu’à
Leclerc ». LA CLASSE mon Gabert en herbe !
Benjo
PS Musical de Benjo : Le petit bonheur, de Felix Leclerc
PS Musical de Charpi : Lé ou lov, de Jean-Michel Rotin