Un joyeux foutoir !
La Malaisie. L’ai-je
bien comprit ce pays ? J’y aurai passé environ un mois et demi et je ne sais
toujours pas vraiment de quoi il en retourne. Encore qu’avec le temps je
commence à comprendre que, tout simplement, ce pays est insaisissable, et c’est
bien ça qui en fait son identité.
Ne sachant vraiment
que dire sur cette contrée étrange, je me suis donc posé à la terrasse d’un
café-resto indien, au cœur de la ville, dans l’espoir de faire naître quelques
idées. Un peu en hauteur sur la rue et la populace, ça m’aidera peut-être à
libérer mon écriture.
D’abord je vais
tenter de vous décrire le coin et l’instant, afin que vous voyagiez un peu avec
moi. Il est 16h, le temps a tourné au grisâtre, de plus en plus sombre
d’ailleurs, l’orage quotidien de la fin d’aprèm ne devrait plus tarder, les
éclairs et grondements se rapprochent. En général, l’orage est accompagné d’une
pluie torrentielle, pendant une heure tout au plus. C’est bien ça rafraichit
l’atmosphère lourd et pollué de cette ville à voiture. Je me suis posé à côté
de la Pudu Bus Station, à deux pas de China Town. Devant mes yeux (pas trop
ébahis), une petite rue en pente, à sens unique, des voitures garées plus ou
moins correctement, le chantier d’un nouvel immeuble, des façades délavées,
deux cocotiers, un arbre inconnu, un coiffeur indien, un resto indien (avec de
très bons Tosai), une épicerie tenue par des indiens, et un petit temple
hindous avec quelques… indiens qui vagabondent autour. Un peu plus loin, un
immeuble en construction avec ses grues sur le trentième ou quarantième étage.
Derrière le bar, un gratte-ciel d’une banque locale…
L’orage approche, ça commence à taper, ça commence à
tomber. Replis stratégique ? Je vais attendre encore un peu.
Vous l’avez
compris, je suis dans un quartier indien, un petit Little India. Dans la rue ça marche lentement, normal ce sont des
indiens (j’y reviendrai), tous les motocyclistes ont leur veste retournée (en
mettant la fermeture éclair à l’arrière) pour se protéger du vent, du froid, de
la pluie, et surement aussi pour être à la mode. Le port du casque est
respecté, on est en Malaisie, un pays nouvellement « développé ».
Merdeka Square, "centre historique" de KL |
Oui la Malaisie est
économiquement plus développée que tous ces voisins du Sud-est asiatique, si ce
n’est le micro-Etat Singapour. Le pays est sur les traces de la Corée du Sud ou
de Taiwan, qui ont atteint les standards de richesses occidentaux.
Je suis ainsi à
Kuala Lumpur, KL pour les intimes, la capitale. Cette ville c’est un sacré
chantier, ce qui ne m’a donc pas aidé à cerner le pays. N’arrivant pas à me
repérer au milieu de cette jungle urbaine, je suis monté dans les hauteurs, à
la KL Tower, à presque 300 mètres au dessus des centres commerciaux. Ça a
confirmé mes impressions : il n’y a aucune cohérence urbaine. Il y a
quelques gratte-ciels, avec un parc, quelques habitations plus ou moins
ghettos, des travaux, tu crois que c’est tout mais en fait ce plan se répète de
partout ! Il y a une dizaine de villes dans la ville. KL n’est pas
ancienne, ses plus vieux bâtiments remontent au XIXème, et
l’expansion qui s’en est suivi ne s’est pas franchement basée sur le cardo et
le decumanus romain. Entre ces quartiers, des métros aériens, des autoroutes
urbaines, des centres commerciaux à ne plus savoir qu’en faire. Quand un pays
se veut « nouvellement développé », il se doit de construire des
centres commerciaux, c’est la base. Mais un anglais du nom de Nick me disait
que cela s’expliquait aussi car il y a peu de rues commerçantes comme en France
par exemple, et car ces centres sont climatisés donc les gens y vont de bon
cœur !
Une clochette a retenti dans le temple hindou voisin,
ils ont allumé les lumières, ouverts les portes. Attendons sagement de voir ce
qu’il s’y trame.
Nom de dla, ça commence à dracher sévère, les pas s’accélèrent,
le bruit de la pluie couvre désormais la pop malaiso-indienne du bar.
Vue de la KL Tower, où est passé le centre ville ? |
La ville est une
foire, le pays… Bref, je crois que ma difficulté à cerner ce pays vient de sa
population. Plus exactement de ses populations. Une grande diversité, née d’une
histoire aux multiples rebondissements et occupants. Depuis tout temps habité
par les autochtones malais, la péninsule a vu de nombreux voisins et européens
venir mettre leur nez dans ses affaires. Pour une raison stratégique : le
pays étant sur la route navale entre l’Orient chinois et l’Occident, via le
détroit de Malaka. Les portugais sont arrivés au XVème, les
hollandais ont prit le relais, puis les anglais, virés finalement en 1957. Les
chinois eux ont toujours été là, et représentent désormais 30% des malaisiens
(habitants de la Malaisie, quelque soit leurs origines). Les indiens 10%.
Ces dernières
décennies, avec la volonté des politiques de faire du pays un nouveau Dragon
d’Asie, la main d’œuvre bon marché a afflué de tous les pays : Bangladesh,
Birmanie, Philippines, Indonésie, Pakistan et autres contrées exotiques, cela
fait donc un mélange détonnant ! N’en ayant pas assez, je me suis fait une
session Couchsurfing avec trois nigérians et un yéménite. Pour le coup, les
politiques ne sont pas racistes pour un sous. Si tu veux venir pour dépenser de
l’argent et/ou travailler, t’es le bienvenu ! L’Arche de Noé version
contemporaine.
Qui dit peuples
différents dit religions différentes. Les malais (comprenez les habitants
originaires de l’île) sont pour grande majorité musulmans, les chinois surtout
bouddhistes, les indiens hindous, et quelques églises font encore office de
temps à autre (notamment pour un de mes nigérians, un autre étant musulman,
compte les points). En se promenant à Malaka, capitale historique, c’est
vraiment surprenant de voir tous ces cultes pratiqués sur quelques dizaines de
mètres. Ça commence par la mosquée qui te réveille à cinq heures du mat, à
gauche un temple bouddhiste qui t’infuse ses encens, à droite une église qui
sonne à midi, puis un temple hindou qui sonne également et dégage des odeurs
étranges, et de l’autre côté de la rue un temple taoiste. Pour la nouvelle
religion capitaliste, vous me rajouterez un McDo, un Starbucks, un Carrefour et
bien sûr l’Apple Store.
Enfin bref un
joyeux foutoir. J’utilise sciemment « joyeux » car en dépit de cet
éventail de croyances, les conflits sont rares, ce qui est fort agréable.
Dans le petit temple ouvert aux quatre vents,
j’entends une sorte de trompette, et une vingtaine d’indiens, hommes et femmes,
font la queue devant des divinités, que certains arrosent. Nombreux hommes sont
torses-nus, serviette blanche autour de al taille. Les plats cuisinés, les
fruits défilent devant ces statues… l’autre jour à l’extérieur de ce même
temple, ils fracassaient des centaines de noix de coco sur le sol en récitant
une petite prière.
La pluie et l’orage se sont un peu calmés, que
passa ?
Les Petronas Twin Tower de KL |
Un sacré mix donc
qui se voit sur les facies d’une part : les malais, les indiens, les
tamouls, les chinois et quelques occidentaux et africains ça et là. Et qui
s’entend dans les voix d’autre part. Là aussi c’est un joyeux foutoir ! En
gros, les malais parlent malais, les chinois parlent cantonnais et/ou mandarin,
les indiens hindi, mais d’un peuple à un autre, ils utilisent essentiellement
l’anglais. Il n’est pas étonnant d’entendre un mot ou une phrase en anglais
quand deux malais se parlent entre eux. Les inscriptions sont en malais,
anglais, chinois, voir arabe ou hindi. Avec mes nigérians, je n’étais pas aidé.
Véridique, quand ils parlaient entre eux parfois je ne savais pas si c’était de
l’anglais ou du yoruba, une des langues du Nigéria. Ils ont un morceau d’accent,
c’était caricatural. Trop drôle.
La musique live envoie des watts dans le temple,
trompette, percu et clochette ! A mon resto-bar, quelques indiens
(moustache à l’appui) et une table avec trois jeunes femmes malaises, deux
enturbannées et une habillée à l’occidentale. Club mais pas binouze.
Particulier ce pays
car il se veut moderne et riche, mais il conserve de vieilles traditions. Vous
avez peut-être entendu parler des élections générales tenues début mai. Le
Barisan National au pouvoir depuis l’indépendance l’a miraculeusement gagné
devant la coalition d’opposition, le PR (Pakatan Rakyat, Alliance du Peuple),
en dépit de sondages pré-électoraux peu optimistes. Ici tout le monde sait
qu’il y a eu de la triche à grande échelle sur ces élections. A
l’ancienne ! Deux méthodes ont eu la faveur du BN : l’utilisation
d’une encre effaçable pour cocher les bulletins (et donc pour les corriger) et
l’attribution d’une enveloppe de 500 à 1000 ringits (125 à 250 €) en cash pour
les travailleurs clandestins, afin qu’ils ne se trompent pas de bulletins.
Clandestins vous aurez noté, mais peu importe, l’espace d’une journée, on leur
offrait des droits.
C’en est fini de la cérémonie, un coup de balai sur le
sol, un peu d’eau sur les pieds, on renfile les tongues et hop chacun rentre
chez soi.
Lors de la campagne
il était surtout question de corruption et de discrimination ethnique. Passons
la corruption, vous connaissez. La particularité vient du système actuel qui
offre aux malais des aides financières que les chinois ou indiens n’ont pas.
Même s’ils sont tous malaisiens, ils n’ont pas les mêmes origines et donc pas
les mêmes droits. Même si les malais (les musulmans originaires de l’île, si
vous avez bien suivi) avaient tout intérêts à voter pour le parti au pouvoir,
ils n’en voulaient plus, mais n’ont pas été entendu. C’est donc reparti pour
quelques années sur les mêmes bases. En gros les malais, dits fainéants, contrôlent
les institutions et les postes intéressants et bien payés (administration, prof
etc), les chinois triment comme des malades et contrôlent l’économie, et les
indiens regardent le match, tranquillou. Et comme les afghans en Iran ou les birmans
en Thaïlande, le pays a ses travailleurs de force : bengalais, philippins,
indonésiens, paki…
Ils ont reprit avec un grosse cloche maintenant, la
trompette toujours. Au bar, les ventilos sont toujours à fond, mais ça va il ne
fait plus trop lourd, la pluie a rafraichit la ville. Le soleil n’est même plus
très loin, ça s’éclaircit !
Voila tout, un
joyeux foutoir. Entre traditions et modernité, entre diversité ethnique et
religions du monde : la Malaisie.
Depuis mon bungalow à Tioman Island |
Le frelon d’or de la semaine. Outre Tioman Island, je dirais ce petit séjour aux Cameron Highlands, à
quelques heures au nord de KL. Une vraie bonne jungle, un bon resto-cantine
indien, et surtout quatre backpackers au long cours comme moi avec qui j’ai pu
partager. On s’est vite comprit, on a un peu la même histoire… Je me suis quasi
retrouvé au bazar aux bestiaux à Kashgar, dans la province de Xinjiang, en Chine
profonde.
La pompe à vélo de la semaine. J’en ai deux. Je ne pouvais pas l’omettre : la déforestation au
profit des palmiers, afin d’en tirer la sacro-sainte huile de palme, que nous
utilisons tous les jours dans quantité de nos produits (Pringles, Magnum,
L’Occitane, Dove, McDo…). Des territoires entiers sont rasés, les indigènes
Orang Asli gentiment « déménagés », les sols meurent, les espèces
animales et végétales aussi. Ça fait peur à voir ces palmiers sur des dizaines
de kilomètres le long des belles autoroutes, et c’est la même en Indonésie. Si
possible, évitez cette huile destructrice…
La deuxième pompe à
vélo de la semaine s’adresse directement à la Reine du Commonwealth, pour
ne pas dire de la d’Angleterre, qui rechigne à me passer mon visa australien.
Une longue histoire je vous l’épargne, mais qui va abréger mon trip.
C’est pas grave, j’en ai déjà bien profité, et surtout ce n’est pas fini !
Le fun de la semaine. Que ce soit à Tioman ou ailleurs en Malaisie, il m’arrive de demander ma
direction à une charmante damoiselle plutôt qu’un vieux tout sale. Mais quelle
n’est pas ma surprise lorsque qu’elle me répond parfois avec la voix de Richard
Bohringer. Un ladyboy, ou une shemale, je ne sais pas je ne suis pas
expert.
Benjo
Allez, il est 18h tout rond, je vais aller dans un
Mall tenter de faire une bonne affaire pour des pompes.
PS Musical de Benjo : Get lucky, de Daft Punk
PS Musical de Charpi : 96 degrees in the shade, de
Third World
Désolé que ton voyage s'achève plus tôt que voulu, mais ravi que ça te ramène près de nous! ;-)
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