25 déc. 2012


Sur la route

Nous voici donc dans l’Empire du Milieu. Et le milieu commence loin de Pékin, à la frontière kirghize, à quelques milliers de kilomètres de la capitale. Un cinquième des habitants de la planète a un passeport chinois !
Il aurait été plus simple de prendre l’avion pour aller directement de Bishkek en Asie du sud-est, mais on préfère éviter. Dans une perspective environnementale déjà mais aussi pour voir l’évolution des paysages et des populations le long de cette route. Ce qui nous a fait quelques (longues, parfois) heures dans les transports kirghizes et chinois.
Nos dernières heures au Kirghizstan ont été superbes avec la traversée de la vallée de l’Alaï dans un bon vieux camtard local. Puis on a passé la frontière. On a commencé par nous obliger à prendre un bus complètement pourri (on voulait faire du stop) sur une piste qui l’était encore plus. Une dizaine d’heures pour faire 140 kilomètres, arrêt dans un check point dernière génération comprit…
Nous voici enfin, à 23h, à Kashgar, carrefour incontournable de la Route de la Soie, et rendez-vous des backpackers. Mais là, on ne croisera qu’un suisse (que je recroiserai par hasard dans trois autres villes toutes distantes de milliers de kilomètres).
Cette arrivée dans Kashgar a vraiment été un nouveau « choc culturel » pour moi. Les deux premiers ayant été l’arrivée dans le monde musulman à Mostar (Bosnie) et l’improbable Iran.
Dès l’entrée dans la ville, on constate la différence avec l’Asie Centrale : il y a de l’électricité, et pas qu’un peu ! Si, la veille encore, on marchait dans le noir dès la nuit tombée, ici les panneaux publicitaires et surtout les enseignes de magasins illuminent les rues. Pour les locaux, ces caractères ont une signification, pour nous ce sont de beaux dessins. On se réveille le premier matin, et devant nous une immense cours d’école avec des centaines d’enfants faisant leurs exercices matinaux au son de la belle musique impériale. Un nouveau pays !
On sent que Mao a eu un peu de mal à maitriser complètement ces peuples du Xinjiang, cette province du nord-ouest du pays. Lorsque l’on se promène dans les rues de Kashgar, on croise peu de chinois comme on l’entend en France, mais principalement des ouïghours, un peuple turcophone. Ils ont un faciès ressemblant aux peuples d’Asie centrale, c’est-à-dire un mélange mongol, perse, turc voire hindou… ils sont majoritairement musulmans sunnites, ont leur propre langue (turcophone là aussi) et écriture, qui ressemble à l’arabe mais qui n’en n’est pas. D’ailleurs, la majorité des enseignes ont la double écriture chinoise et ouïghour (ça ne nous a pas plus aidé faut dire). Et beaucoup d’anciens ne parlent pas le mandarin. Bon Mao n’a pas tout réussi mais il a quand-même une belle (et grande) statue à son effigie, levant le bras droit vers l’avenir. Les mauvaises langues disent qu’il hèle un taxi tellement il faut se battre pour en attraper un.
A errer dans les rues de Kashgar, on redécouvre un nouveau peuple (les ouïghours) intégrée dans une nouvelle civilisation (chinoise). Et on sent qu’il y a comme un décalage. La ville, comme la région, est très pauvre, malgré les belles lumières et des immeubles neufs. Beaucoup plus de mendiants que dans les pays précédents (et que dans le reste de la Chine que nous avons visité), un vieux centre qui tombe en désuétude, une hygiène qui laisse franchement à désirer… Etrangeté chinoise également, nous sommes sur le même fuseau horaire que la capitale, si bien qu’il fait à peine jour à 11h du matin. On a bien l’impression que Pékin a classé les ouïghours comme peuple de seconde zone…

Un occidental qui a voyagé pendant cinq mois dans le pays, nous annonce « ne comptez pas être comprit par les chinois ». Et effectivement, on va vite se rendre compte qu’il ne faut pas y compter. Faut essayer certes, mais il faut surtout avoir la requête déjà écrite en mandarin sur un bout de papier. Même la langue des signes est différente. Pourtant on l’avait bossé depuis des mois, mais ici c’est une autre histoire, rien, z, on recommence à zéro comme dirait Edith. On a pu expérimenter cela une première fois au resto… quelle galère ! Même avec les dessins sur le menu, on n’est pas arrivés à se faire comprendre. Résultat, on s’est retrouvés avec des plats pour sept ! Bon, comme on est généreux dans l’effort, qu’on ne voulait pas laisser une mauvaise impression et que c’était bon, on a mangé pour six. On manquait d’entrainement. Devant nous, à la même table, ils ont eu le temps d’enchainer trois services. Je reviendrai dans un autre post sur leur façon de manger. Peu ragoutant.
A Kashgar, nous avons aussi parcouru l’immense bazar, qui grouille de monde, et le marché aux animaux, un des plus grands d’Asie. Ça fourmille de monde et de bestiaux (yaks, chameaux, chevaux, ânes, moutons, chèvres, un suisse aussi,…), ça jacte, ça henni, ça marchande, ça braie, ça rigole, ça sert des paluches en échangeant des biftons. Une ambiance virile mais correcte (ou presque, ça castagne encore un peu).
Tout ça c’était avant l’drame, se rendre à l’évidence : il n’y a plus de place couchettes dans les trains dans les cinq jours à venir. On doit prendre un premier train pour Urumqi, environ mille bornes et 30h ; et un second pour Chengdu dans le centre sud du pays, environ deux milles bornes et 50h… on va avoir mal au c*l à passer ce temps assis ! Que nenni grand Dieu, plus de place assise ! Ce sera debout pour 80h avec une pause d’une demi-journée pour dormir à Urumqi.
Déjà, en Asie Centrale, chaque déplacement était une aventure, mais ça n’a rien de comparable avec ces quatre jours à traverser presque les deux-tiers du pays. On voulait voir du pays, on a été servi ; on voulait rencontrer du local, on a eu de la promiscuité comme jamais. Mais que c’était bon !

Kasghar, pays ouighour

D’entrée à la gare, la sécu nous soutire nos supers couteaux ouïghours achetés au bazar… rrrrhhhhh, j’ai que ça à faire moi de braquer le conducteur du quotidien Kashgar – Urumqi ! On est presque les derniers à embarquer, on nous presse gentiment de grimper quand une intendante reçoit un message sur le talkie. Et là elle se met à nous hurler dessus et à la dizaine de passagers encore à l’extérieur. Une morceau d’hystérique, y’a vraiment pas d’autres mots, on dirait un coach de lutte sur le bord du tatamis qui gueule ses encouragements à son poulain dans une salle où l’on ne s’entend plus. Mais là on l’entend y’a pas de souci et surtout le train est déjà blindé, on ne peut pas rentrer plus vite bordel ! Etrangeté chinoise là aussi, tout le monde la ferme… vraiment bizarre, on est les seuls étonnés. Un remède contre l’amour comme dirait l’autre. Je reviendrai aussi sur ces pratiques étranges dans un autre post. Peu entrainant.
Et nous voila dans les wagons. Enfin plutôt entre deux wagons, là où l’on est rentré, car on ne peut pas avancer. En fait ils vendent les places couchettes, les places assises, puis blindent le train au max en vendant des tickets à prix réduit pour le reste de l’espace. On est loin des réglementations françaises type ERP. Le long du trajet, on enchaine les positions debout, assis, mais pas couchés, impossible. On va rester lors de ce premier voyage dans cet entre-wagon, coin fumeur et non chauffé. Super ! On va néanmoins arrivé à faire notre place en se calant sur des sacs de charbon et de citrouille. Pas le mieux pour le postérieur, je ne vous le conseille pas. Certains moments, je compte, on est une dizaine dans trois mètres carré. Quand je vous disais qu’on avait gouté à une certaine promiscuité avec le local…
Evidemment on est les deux seuls occidentaux du train. On est un peu des bêtes de foire, tout le monde nous regarde, scrute chacun de nos gestes (ce qu’on mange, ce qu’on écrit, ce qu’on dit, ce qu’on lit etc.). On est les uns sur les autres, donc on s’aide plutôt que l’on s’énerve, ça rapproche en plus de l’être déjà. Of course personne ne parle un mot d’anglais. On arrive toujours à communiquer un peu, notamment par la musique. On sort nos deux guitares, on se crée un petit mètre carré pour nous placer et hop on enquille les accords. Le spectacle est pour eux mais pour nous aussi, à voir toutes ces ganaches fixées sur nos instruments et nos voix. Fou.

Faut faire sa place dans le train...
 
Avec ma taille et ma face d’étranger, je fais peur aux gamins. Trop marrant ! La première seconde ils se demandent ce que c’est que ce grand truc, puis se refugient dans les bras ou les jambes de leurs parents. Une fois bien au chaud, ils jettent de nouveau un coup d’œil. S’ils croisent mon regard, ils se cachent encore plus et certains pleurent. Les plus grands s’y font et deviennent des potes, les petits s’y font rarement. L’ogre Gloups sans le déguisement^^
Les heures passent lentement, tout comme les intendants qui tentent de pousser leurs chariots en évitant de nous écraser au passage. On mange presque tous des pates (les noodles chinoises), petit à petit on s’endort les uns sur les autres. Bah non en fait on ne s’endort pas, c’est pas possible. Comment faites-vous chers médecins pour enchainer plus de 24h ?

Heureux d’être arrivés à la première étape, on se repose quelques heures avant d’enchainer sur la seconde. Avec notre mini expérience, on se la joue tactique et on ne se laisse pas faire, pas moyen de se retrouver entre deux wagons. Chanceux, on rencontre un jeune qui parle anglais, il sera un bon compagnon de voyage, et nous donnera des tuyaux de voyageurs. Comme manger au resto le soir afin de pouvoir dormir sur la chaise. Je m’assoupie, j’allonge mes jambes sous la table, le gars d’en face racle gracieusement sa gorge, et dépose son beau crachat sur ma godasse… classe, merci Gabert (oui ici tout le monde s’appelle Gabert, ça évite les erreurs). Je reviendrai aussi sur cette habitude du crachat. Peu attirant, et surtout vraiment dégueulasse ! Ma foi, ce resto-dodo ce n’était pas le Hilton mais on a sombré quelques instants, très précieux à ce moment là du périple.
Encore de la guitare, des gamins qui après nous avoir apprivoisé jouent avec nous, des paysages qui évoluent vers plus de vert,… on arrive bientôt à Chengdu, capitale du Sichuan.
Les chinois sont habitués à ces voyages, c’est un peu comme les départs au bled mais tous serrés dans un train. Ils s’y font, ont leur petite organisation de nomade, et s’adaptent à ce foutoir ambulant.
Perso j’ai détesté mais surtout adoré. Détesté car on est réduit à se comporter comme des bêtes, on touche terre, il n’y a plus aucune dignité (je vous épargne certains détails), les flics et personnels sont humiliants envers les passagers, et les gens laissent faire tout ça. J’y reviendrai aussi, peu accueillant. En plus c’est physiquement épuisant, on attend que les heures s’égrènent… ma foi. Mais j’ai adoré car on s’est prit un bain de Chine authentique. On s’est retrouvés à partager leur quotidien de voyageur, on était au même niveau qu’eux. Il y avait un vrai échange, et tout cela sans parler ou presque. On voulait voir du local eh bien on a été servis !
(Pour l’étape suivante entre Chengdu et Kunming, 18h, on a pu prendre des « couchettes ») Yeah !!

Seance musicale dans le resto


Frelon d’or : Alors perso je me suis fait un petit délire dans ces trains. Je me suis amusé à faire quelques allers-retours dans des wagons, avec la musique Paper Planes, de Mia (du film Slumdog Millionaire), dans les oreilles. Sérieux, je me croyais dans le film, avec ces personnes à enjamber, ces visages mix asiatiques, et leurs regards. Fatigués, souriants ou interloqués à ma vue, couchés les uns sur les autres… une ambiance incroyable et la musique qui tabasse ! Paon Paon Paon Paon !
Pompe à vélo : Choix difficile entre les raclements de gorges, les gueulantes normalisées, et leur façon de manger…
Fun : Pendant que Charpi discutait gentiment avec un jeune prosélyte musulman, je me retrouvais à jouer les interprètes ouïghours / anglais avec une demi-douzaine de gars, à l’aide du Lonely Planet. J’étais assis sur une banquette, cerné par ces adolescents assis et debout, à quelques centimètres de ma tête, et tous avec des faces de Jacouille la Fripouille ! Mêmes teints, mêmes coupes de cheveux et détail non négligeable, les chicos dégueus, tous à me poser pleins des questions. Franchement c’était trop bon. « Tu t’es espongé dans la vinasse ? »

Benjo

PS pas musical : Les félicitations à Charpi qui a continué la route pendant plusieurs jours entre Chine, Laos et Thaïlande ! Champion !
PS Musical de Benjo : Paper planes, de Mia
PS Musical de Charpi : Get Ready, de The Temptations


1 commentaire:

  1. Absolument incroyable! Ça semble dingue pour nous petits français qui gueulont à chaque fois que la sncf a 5 minutes de retard!
    Joyeux noël à vous deux.
    Clémence
    Benjo, sympa la guitare rose, c'est "gay friendly"!


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