Les off
du 13h
Internet qui fonctionne ! yeah !!!
« Mais de quoi les iraniens
ont-ils peur ? Qui ne veulent-ils pas voir dans leur pays ? ».
C’est en substance les questions que l’on m’a posé l’autre jour depuis la
France. Après plus d’un mois et demi ici, cette question m’a paru vraiment surréaliste
(désolé pour les auteurs des dites questions). Et une autre personne en France
il y a une semaine à qui l’on faisait aisément croire qu’ils avaient fermé les
frontières, qu’on nous avait confisqué les passeports etc. (non, on ne dira pas
que c’est notre pote Mika).
En Occident, il est vrai qu’on
n’est pas aidés par les medias. Quand on nous parle de l’Iran c’est pour
évoquer les pressions des instances internationales, le conflit toujours latent
avec Israël, et les belles paroles du Président Ahmadinejad. Ça va rarement
plus loin. On évoque donc les manifs du peuple iranien contre l’ambassade suite
aux caricatures de Charlie Hebdo. Alors que celles-ci ne venaient pas du peuple
mais ont été organisées par le gouvernement et ont été peu suivies (pour preuve
l’ambassade n’a été fermée qu’une journée). Il n’est certes pas aisé de
travailler ici pour les médias étrangers, les reportages intéressant ne sont pas
légions, mais ils existent. Chers médias prenez un peu des risques et chère populasse, cherche l’info cachée
derrière le 13h de JP Pernaud !
Avec ces remarques des amis ou
ces sujets de médias, on se rend compte de la cécité qui existe entre l’Occident
et l’Iran. Rassurez-vous, c’était la même chose pour nous il y a encore deux
mois, nous aussi on a été franchement surpris lorsque l'on a constaté, entre
autres, qu’il y avait l’eau potable dans toutes les habitations. Avec ce post,
je vais essayer de vous apporter un éclairage sur ce que vivent les iraniens
ici, ainsi vous pourrez le remettre en perspective avec les dérives
médiatiques.
Certes ce ne sera qu’une analyse
partielle. Notamment car nous n’avons pas rencontré toutes les couches de la
population. On traine principalement avec la classe moyenne
« intello ». La classe ultra-riche on la croise tous les jours mais
on la fréquente peu. La classe « pauvre » elle est très présente
aussi, on échange tous les jours mais ça reste en surface. Toutefois, au vu des
contestations suite aux élections de 2009, on peut imaginer qu’une bonne part
des iraniens est d’accord avec ce qui va suivre et souhaite une évolution de
leur pays.
Je crois qu’il faut vraiment que
l’on ait un œil nouveau sur ce pays, sur ces gens. Et sur ce qu’ils vivent au
quotidien.
Le pays regorge de sites naturels
et de monuments magnifiques, chargés d’histoires. Rien que pour ça, cela mérite
le détour. Et pourtant on ne croise quasi aucun touriste étranger. Mais
surtout, on en a apprit sur la population, et croyez-le ou pas : ils sont
comme nous !!! Les mêmes délires, les mêmes aspirations, les mêmes
problèmes. Ah non, là ça diffère.
Pour ce qui est des délires eh
bien il n’y a pas grand-chose à expliquer. On a passé deux grands week-ends à
l’extérieur de Tehran avec la bande de potes et… eh bien on fait les mêmes
choses qu’en France ! Soirée avec alcool (bien qu’interdit) et quelques
psychotropes, poker, musique, danse, un bon barbecue en racontant des conneries
à se rouler par terre. Rajoutez-y une balade et pique-nique dans la jungle
comme ils l’appellent ici (une forêt en fait), un tour à la mer… Faisons-nous
ça différemment dans le pays du béret-baguette ? En plus avec Charpi on est
tombés sur une joyeuse troupe d’artistes : sculptrice, designer,
musiciens, dessinateur, photographe, cameraman… de quoi pouvions-nous nous
plaindre ?!
Petit aparté cocorico : pendant ce second séjour Charpi a gagné le
tournoi de poker tandis que je remportais brillamment celui de Backgammon,
sport national. Et Bim ! Faut quand-même pas oublier de bien leur montrer
qui sont les patrons.
Pour ce qui est des aspirations, elles
sont similaires. Ils aspirent à faire des études, ne pas galérer à chaque fin
de mois, mais aussi passer du bon temps vous l’aurez compris, voir des
concerts, se balader librement dans la rue, sans hijab pour les filles et en
short pour les gars, se baigner sur une plage commune… et aussi voyager !
Ils veulent voir le monde, l’Autre, voir les différences autrement que par la
télé câblée et l’internet très bas débit. Comme nous nous pouvons le faire.
Là intervient la
différence : les problèmes. Ils sont bien différents ici. Il y en a chez
nous bien sûr, et ça ne va pas franchement en s’améliorant . Mais ici c’est un
autre niveau. Ils ont la liberté que veut bien leur donner le gouvernement (et
les mollahs qui tiennent tout ça) : juste assez pour éviter les révoltes.
A les voir tous les jours, on croirait que tout va bien, ils rigolent avec
nous, sortent dans la rues, s’habillent « à la mode ». Mais c’est un leurre.
On a eu des discussions avec à peu près tous nos amis ici et ils en reviennent tous
à cette frustration, cette impuissance. Pour certains : cette malédiction
d’être nés ici et à cette époque. On devine une certaine tristesse, un
abattement.
Ce qui nous fait donc une belle
tripotée d’emmerdements au quotidien :
- Ils subissent, même si cela est relativement
rare, des contrôles plus qu’intimidants dans les rues par la police
« secrète » ; il y a la police des mœurs (notamment pour le
contrôle de la tenue vestimentaire des femmes),
- hier une trentaine de motards militaires
tournaient dans les rues, armés jusqu’aux dents avec lance-grenades (pas le
fruit malheureusement), mitraillettes, matraques et consort. « Simplement
pour se montrer et foutre la pression » nous dit notre hôte. Et encore, on
sort dans la rue sans grande crainte, pas comme le quartier Sessine de Beyrouth
en ce moment…
-
il y a très peu de concerts, les paroles et le
style musical étant de plus soumis à censure,
-
évidemment pas de bar où boire un verre
alcoolisé, pas de dancefloor sinon
traditionnel,
-
les sports sont séparés et (donc ?) peu
pratiqués.
- l’internet est ralenti au maximum et tous ne
connaissent pas le secret de l’anti-filtre (en plus depuis trois semaines
Google, Gmail… sont bloqués tout comme Facebook et d’autres),
- et au-delà du quotidien : ils n’ont pas le
choix officiel de la religion car ils sont musulmans de naissance (tu me diras
en Suède c’est la même chose version catholique), les hommes doivent faire
presque deux ans de service militaire pour avoir leur passeport s’ils veulent
filer à l’étranger,…
- Et pour arroser le tout, la monnaie perd en ce
moment toute valeur par rapport à l’euro et au dollar. Début septembre 1€ =
27 000 Iranian Rials, mi-octobre 1€ = 45 000 Iranian Rials.
-
… et si c’était comme ça chez nous ?
Comment se rebeller ? Notre hôte
Javad de Esfahan a bien tenté et en a fait les frais. Il a frisé la
correctionnelle. A force d’accueillir des Couchsurfeurs (800 en six
ans !), il s’est retrouvé au poste de la police secrète pour propos peu
amènes envers les mollahs sur le quotidien allemand Die Zeitung (à son insu évidemment). Il a été sauvé par le meilleur
ami de son oncle, placé tout en haut de l’échiquier policier. Il a aussi une
belle cicatrice sur le front, souvenir d’une matraque de 2009.
En parlant de matraque, Farzaneh,
une bonne amie sur Tehran tente de se faire entendre à travers son art, la
sculpture. En début d’année elle a réalisé une exposition sur le sujet. Lourde
de sens, sous pression, mais elle l’a fait. Sa façon de protester. Elle
travaille sur la prochaine expo : le jeu d’échecs.
Par contre il ne faut pas dépasser
les bornes. Un ami de Grogol (notre hôte), qui avait tendance à écrire un peut
trop sur la société iranienne et ses dysfonctionnements bien que n’ayant
jamais publié ni même distribué ses écrits à ses amis, s’est vu offrir une
chambre tout frais payés dans les geôles perses pendant un an. Sa famille ayant
subi des pressions, il a rebouché son stylo et est parti à la campagne, se
faisant le plus discret possible.
Les iraniens voient l’étranger et
veulent y aller. Avant la révolution de 1979, ils pouvaient voyager quasiment
sur toute la planète. Aujourd’hui seuls quelques pays les acceptent facilement.
La Turquie, la Malaisie, l’Inde et Dubaï étant leurs destinations
« préférées ». Certaines des personnes que nous avons rencontré nous
racontent leurs séjours à l’étranger : « J’étais à Dubaï, je pouvais
boire une bière en short dans la rue, en discutant tranquillement avec ma
copine non voilée », ou alors « Yeah l’Italie, ses plages avec ses
femmes en maillot de bain ». Eh oui, on n’y pense jamais assez…
Ici ils sont bloqués, et le
problème c’est qu’ils en sont conscients. Ils voient tout ce qui se passe dans
les pays occidentaux mais ne peuvent que regarder. Injustice. L’espace Schengen
est un doux rêve pour eux, que peut arrivent à transformer en réalité. Ils
veulent venir voir, notamment cette culture qui nous entoure au quotidien. Quel
chance d’avoir un Louvre ou l’embarras du choix des concerts ! Ça nous
parait évident chez nous mais ici le concert de jazz-funk qui avait lieu
l’autre jour dans la capitale de 15 millions d’habitants était un
événement en soi.
Ile d'Hormoz, dans le detroit du meme nom : splendide ! Avec un tour guide de premier choix rencontre par hasard |
Nos amis sont notamment attirés
par la France. Grogol a voulu apprendre notre langue en écoutant Francis Cabrel
et sa moustache de feu ; Mahdi (le designer mari de la sculptrice
Farzaneh) c’était en écoutant « Le baiser » d’Alain Souchon et sa
fantastique moumoute bouclée.
Ok, objectif France. Mais là
intervient le problème des visas. Si nous, européens, pouvons venir en Iran comme
bon nous semble (mais on ne le fait pas), pour eux c’est quasi impossible. En
gros, une demande sur dix est acceptée. L’ambassade, et donc le gouvernement
français, ont peur que les iraniens restent en France. Si cela est vrai pour
certains, ce n’est pas le cas pour la grande majorité. Les multiples preuves de
bonne fois qu’ils fournissent pour leur demande de visa devraient suffire à les
persuader, mais ce n’est pas le cas. Injustice, encore.
Notre pote Mohammad, que
j’appelle affectueusement Jean-Mahmoud en hommage à son bon Président (il
m’appelle Jean-François mais je ne sais pas pourquoi), s’est vu refuser sa
demande hier. Il voulait simplement voir sa copine qui passe six mois à Paris
pour finir ses études, et qui a vraiment besoin de le voir car elle galère dans
ses quelques mètres carrés sous les toits. On était avec lui devant l’ambassade
pour l’attente de la réponse, une trentaine de personnes espérant comme lui,
avec anxiété. On se croyait à l’annonce des résultats du Bac. Mais cette
fois-ci les compétences n’avaient rien à voir dans cette histoire. Les reçus
avaient la cinquantaine passée (peu de chance qu’ils viennent piquer du boulot en
France) et étaient plutôt bien sapés. A Momo, on lui a officiellement
signifié : « les informations
communiquées pour justifier l’objet et les conditions du séjour envisagé ne
sont pas fiables ». Soit…
L’excellentissime nouvelle de la
matinée est pour Grogol à qui notre bon pays a fourni un visa pour qu’elle
rende visite à son copain français ! Elle fait partie des 10% ! Probablement
car elle est prof de français, et qu’elle diffuse la culture du pays des Lumières (!) à l’étranger. Sohrab son frère est aussi vraiment
heureux pour elle : « three months out of this hell, it’s
great for her ».
Ces iraniens sont donc comme nous
mais n’ont pas les mêmes libertés, tout simplement. Imaginons-nous un peu à
leur place, ou imaginons-nous en France, avec quelques potes ça et là qui ont
toutes ces privations, non pas par choix mais par naissance. Ça ferait bizarre
non ?! On n’est pas naïf, on savait que ça existait sur cette petite terre
(voire en France), et il y a pire bien sûr. Mais pour l’Iran, cela est couplé à
l’image que l’on a de ce pays depuis l’Occident. Ils subissent l’injustice au
quotidien et on a un œil encore plus injuste sur ce qu’ils « seraient ».
Qu’on change d’avis, qu’on soit plus juste envers eux.
Pour en revenir aux questions de
l’intro : à part les réac’ fondamentalistes, tout les iraniens sont
heureux de voir des étrangers, d’où qu’ils viennent. Au contraire, cela leur
permet de voyager, c’est leur fenêtre sur le monde. Par ailleurs, non, les
frontières ne sont pas fermées, mais vu l’accueil de ce peuple, on serait tenté
de prolonger encore le séjour…
Le frelon d’or : le
visa de Grogol ! Bon voyage de part chez nous.
La pompe à vélo : le
refus de visa de Momo.
Le fun : la version yaourt
de « Je ne regrette rien » par Momo. Extraordinaire. Si on regarde
bien c’est quand-même très compliqué à prononcer tout ces « r » pour
un étranger.
Benjo
PS musical de Benjo : Mistake, du groupe underground Radio Tehran
PS musical de
Charpi : Clocks,
de Coldplay feat. Buena Vista Social Club (en plus ça fait parti d’un projet appelé APE artist project earth dont
les fonds sont reversés à des actions pour lutter en faveur de l’environnement)
PS du PS musical : pour les non experts d'internet, il vous suffit d'appuyer sur le titre de la chanson pour l'écouter !
Si ça vous dit, allez jeter un
coup d’œil sur les sites de nos amis Mahdi et Fafa, artistes réputés dans le
pays :
www.mehdifatehi.com le designer
www.mahartgallery.com la sculptrice
(mettre en anglais, sauf si vous lisez le farsi, aller à Farzaneh Hoseini)
Radio Tehran, j'adooooore!
RépondreSupprimerVous aviez peut-être vu le film : Les chats persans, ce film de Bahman Ghobadi, tourné en cachette, ça m'avait trop donné envie d'aller là-bas, mais avec vos posts, l'envie est redoublée. Je ne sais pas si c'est vrai, mais j'avais eu l'impression en regardant ce film (impression que je retrouve en lisant vos posts) qu'il y avait une jeunesse fort dynamique, qui bouge, pleine de vie et des milieux undergounds plutôt "cool" malgré tous les problèmes politiques et les interdits... Et la ville? Téhéran, c'est comment? Plus de photos svp de la ville!!! A moins qu'il y en ait sur FB...
Cher Fifi cher inconnu cher lecteur assidu,
SupprimerYep, t'as plutôt raison sur tes commentaires et sur ce que l'on perçoit. Pas vu ce film (charpi peut-être) mais j'en ai ouïe dire il y a quelques jours, donc à trouver. Mais c'est pas ici qu'on va le télécharger ! Ce qui ramène aux photos, comme je le mets en début de post c'est la grosse galère, on sera dans un autre pays dans une dizaine, ça devrait aller mieux. Et oui, il y a des photos sur fb...
Oui cher fifi brin d'acier tu as un certainement un profil phasebouc comme tout le monde ...
RépondreSupprimeril y a un verb en persan qu'il s'appele GoozGooz et ca veut dire parler beaucoup pour "show off" c'est qqch que Banj a fait dans la 3 - 4 em paragraphe ( Backgammon ) parceque c'etait moi qui gagnais tout le temps !!!!!
RépondreSupprimerMehdi مهدی