21 oct. 2012


Les off du 13h

Internet qui fonctionne ! yeah !!!

« Mais de quoi les iraniens ont-ils peur ? Qui ne veulent-ils pas voir dans leur pays ? ». C’est en substance les questions que l’on m’a posé l’autre jour depuis la France. Après plus d’un mois et demi ici, cette question m’a paru vraiment surréaliste (désolé pour les auteurs des dites questions). Et une autre personne en France il y a une semaine à qui l’on faisait aisément croire qu’ils avaient fermé les frontières, qu’on nous avait confisqué les passeports etc. (non, on ne dira pas que c’est notre pote Mika).
En Occident, il est vrai qu’on n’est pas aidés par les medias. Quand on nous parle de l’Iran c’est pour évoquer les pressions des instances internationales, le conflit toujours latent avec Israël, et les belles paroles du Président Ahmadinejad. Ça va rarement plus loin. On évoque donc les manifs du peuple iranien contre l’ambassade suite aux caricatures de Charlie Hebdo. Alors que celles-ci ne venaient pas du peuple mais ont été organisées par le gouvernement et ont été peu suivies (pour preuve l’ambassade n’a été fermée qu’une journée). Il n’est certes pas aisé de travailler ici pour les médias étrangers, les reportages intéressant ne sont pas légions, mais ils existent. Chers médias prenez un peu des risques et chère populasse, cherche l’info cachée derrière le 13h de JP Pernaud !
Avec ces remarques des amis ou ces sujets de médias, on se rend compte de la cécité qui existe entre l’Occident et l’Iran. Rassurez-vous, c’était la même chose pour nous il y a encore deux mois, nous aussi on a été franchement surpris lorsque l'on a constaté, entre autres, qu’il y avait l’eau potable dans toutes les habitations. Avec ce post, je vais essayer de vous apporter un éclairage sur ce que vivent les iraniens ici, ainsi vous pourrez le remettre en perspective avec les dérives médiatiques.
Certes ce ne sera qu’une analyse partielle. Notamment car nous n’avons pas rencontré toutes les couches de la population. On traine principalement avec la classe moyenne « intello ». La classe ultra-riche on la croise tous les jours mais on la fréquente peu. La classe « pauvre » elle est très présente aussi, on échange tous les jours mais ça reste en surface. Toutefois, au vu des contestations suite aux élections de 2009, on peut imaginer qu’une bonne part des iraniens est d’accord avec ce qui va suivre et souhaite une évolution de leur pays.

"petit" bazar dans notre quqrtier de Tajrish, a Tehran


Je crois qu’il faut vraiment que l’on ait un œil nouveau sur ce pays, sur ces gens. Et sur ce qu’ils vivent au quotidien.
Le pays regorge de sites naturels et de monuments magnifiques, chargés d’histoires. Rien que pour ça, cela mérite le détour. Et pourtant on ne croise quasi aucun touriste étranger. Mais surtout, on en a apprit sur la population, et croyez-le ou pas : ils sont comme nous !!! Les mêmes délires, les mêmes aspirations, les mêmes problèmes. Ah non, là ça diffère.
Pour ce qui est des délires eh bien il n’y a pas grand-chose à expliquer. On a passé deux grands week-ends à l’extérieur de Tehran avec la bande de potes et… eh bien on fait les mêmes choses qu’en France ! Soirée avec alcool (bien qu’interdit) et quelques psychotropes, poker, musique, danse, un bon barbecue en racontant des conneries à se rouler par terre. Rajoutez-y une balade et pique-nique dans la jungle comme ils l’appellent ici (une forêt en fait), un tour à la mer… Faisons-nous ça différemment dans le pays du béret-baguette ? En plus avec Charpi on est tombés sur une joyeuse troupe d’artistes : sculptrice, designer, musiciens, dessinateur, photographe, cameraman… de quoi pouvions-nous nous plaindre ?!

Petit aparté cocorico : pendant ce second séjour Charpi a gagné le tournoi de poker tandis que je remportais brillamment celui de Backgammon, sport national. Et Bim ! Faut quand-même pas oublier de bien leur montrer qui sont les patrons.

Pour ce qui est des aspirations, elles sont similaires. Ils aspirent à faire des études, ne pas galérer à chaque fin de mois, mais aussi passer du bon temps vous l’aurez compris, voir des concerts, se balader librement dans la rue, sans hijab pour les filles et en short pour les gars, se baigner sur une plage commune… et aussi voyager ! Ils veulent voir le monde, l’Autre, voir les différences autrement que par la télé câblée et l’internet très bas débit. Comme nous nous pouvons le faire.
Là intervient la différence : les problèmes. Ils sont bien différents ici. Il y en a chez nous bien sûr, et ça ne va pas franchement en s’améliorant . Mais ici c’est un autre niveau. Ils ont la liberté que veut bien leur donner le gouvernement (et les mollahs qui tiennent tout ça) : juste assez pour éviter les révoltes. A les voir tous les jours, on croirait que tout va bien, ils rigolent avec nous, sortent dans la rues, s’habillent « à la mode ». Mais c’est un leurre. On a eu des discussions avec à peu près tous nos amis ici et ils en reviennent tous à cette frustration, cette impuissance. Pour certains : cette malédiction d’être nés ici et à cette époque. On devine une certaine tristesse, un abattement.
Ce qui nous fait donc une belle tripotée d’emmerdements au quotidien :
-         Ils subissent, même si cela est relativement rare, des contrôles plus qu’intimidants dans les rues par la police « secrète » ; il y a la police des mœurs (notamment pour le contrôle de la tenue vestimentaire des femmes),
-       hier une trentaine de motards militaires tournaient dans les rues, armés jusqu’aux dents avec lance-grenades (pas le fruit malheureusement), mitraillettes, matraques et consort. « Simplement pour se montrer et foutre la pression » nous dit notre hôte. Et encore, on sort dans la rue sans grande crainte, pas comme le quartier Sessine de Beyrouth en ce moment…
-          il y a très peu de concerts, les paroles et le style musical étant de plus soumis à censure,
-          évidemment pas de bar où boire un verre alcoolisé, pas de dancefloor sinon traditionnel,
-          les sports sont séparés et (donc ?) peu pratiqués.
-       l’internet est ralenti au maximum et tous ne connaissent pas le secret de l’anti-filtre (en plus depuis trois semaines Google, Gmail… sont bloqués tout comme Facebook et d’autres),
-      et au-delà du quotidien : ils n’ont pas le choix officiel de la religion car ils sont musulmans de naissance (tu me diras en Suède c’est la même chose version catholique), les hommes doivent faire presque deux ans de service militaire pour avoir leur passeport s’ils veulent filer à l’étranger,…
-         Et pour arroser le tout, la monnaie perd en ce moment toute valeur par rapport à l’euro et au dollar. Début septembre 1€ = 27 000 Iranian Rials, mi-octobre 1€ = 45 000 Iranian Rials.
-          … et si c’était comme ça chez nous ?

Vous voyez c'est comme en France, une photo entre amis...

Comment se rebeller ? Notre hôte Javad de Esfahan a bien tenté et en a fait les frais. Il a frisé la correctionnelle. A force d’accueillir des Couchsurfeurs (800 en six ans !), il s’est retrouvé au poste de la police secrète pour propos peu amènes envers les mollahs sur le quotidien allemand Die Zeitung (à son insu évidemment). Il a été sauvé par le meilleur ami de son oncle, placé tout en haut de l’échiquier policier. Il a aussi une belle cicatrice sur le front, souvenir d’une matraque de 2009.
En parlant de matraque, Farzaneh, une bonne amie sur Tehran tente de se faire entendre à travers son art, la sculpture. En début d’année elle a réalisé une exposition sur le sujet. Lourde de sens, sous pression, mais elle l’a fait. Sa façon de protester. Elle travaille sur la prochaine expo : le jeu d’échecs.
Par contre il ne faut pas dépasser les bornes. Un ami de Grogol (notre hôte), qui avait tendance à écrire un peut trop sur la société iranienne et ses dysfonctionnements  bien que n’ayant jamais publié ni même distribué ses écrits à ses amis, s’est vu offrir une chambre tout frais payés dans les geôles perses pendant un an. Sa famille ayant subi des pressions, il a rebouché son stylo et est parti à la campagne, se faisant le plus discret possible.

Les iraniens voient l’étranger et veulent y aller. Avant la révolution de 1979, ils pouvaient voyager quasiment sur toute la planète. Aujourd’hui seuls quelques pays les acceptent facilement. La Turquie, la Malaisie, l’Inde et Dubaï étant leurs destinations « préférées ». Certaines des personnes que nous avons rencontré nous racontent leurs séjours à l’étranger : « J’étais à Dubaï, je pouvais boire une bière en short dans la rue, en discutant tranquillement avec ma copine non voilée », ou alors « Yeah l’Italie, ses plages avec ses femmes en maillot de bain ». Eh oui, on n’y pense jamais assez…
Ici ils sont bloqués, et le problème c’est qu’ils en sont conscients. Ils voient tout ce qui se passe dans les pays occidentaux mais ne peuvent que regarder. Injustice. L’espace Schengen est un doux rêve pour eux, que peut arrivent à transformer en réalité. Ils veulent venir voir, notamment cette culture qui nous entoure au quotidien. Quel chance d’avoir un Louvre ou l’embarras du choix des concerts ! Ça nous parait évident chez nous mais ici le concert de jazz-funk qui avait lieu l’autre jour dans la capitale de 15 millions d’habitants était un événement en soi.

Ile d'Hormoz, dans le detroit du meme nom : splendide ! Avec un tour guide de premier choix rencontre par hasard

Nos amis sont notamment attirés par la France. Grogol a voulu apprendre notre langue en écoutant Francis Cabrel et sa moustache de feu ; Mahdi (le designer mari de la sculptrice Farzaneh) c’était en écoutant « Le baiser » d’Alain Souchon et sa fantastique moumoute bouclée.
Ok, objectif France. Mais là intervient le problème des visas. Si nous, européens, pouvons venir en Iran comme bon nous semble (mais on ne le fait pas), pour eux c’est quasi impossible. En gros, une demande sur dix est acceptée. L’ambassade, et donc le gouvernement français, ont peur que les iraniens restent en France. Si cela est vrai pour certains, ce n’est pas le cas pour la grande majorité. Les multiples preuves de bonne fois qu’ils fournissent pour leur demande de visa devraient suffire à les persuader, mais ce n’est pas le cas. Injustice, encore.
Notre pote Mohammad, que j’appelle affectueusement Jean-Mahmoud en hommage à son bon Président (il m’appelle Jean-François mais je ne sais pas pourquoi), s’est vu refuser sa demande hier. Il voulait simplement voir sa copine qui passe six mois à Paris pour finir ses études, et qui a vraiment besoin de le voir car elle galère dans ses quelques mètres carrés sous les toits. On était avec lui devant l’ambassade pour l’attente de la réponse, une trentaine de personnes espérant comme lui, avec anxiété. On se croyait à l’annonce des résultats du Bac. Mais cette fois-ci les compétences n’avaient rien à voir dans cette histoire. Les reçus avaient la cinquantaine passée (peu de chance qu’ils viennent piquer du boulot en France) et étaient plutôt bien sapés. A Momo, on lui a officiellement signifié : « les informations communiquées pour justifier l’objet et les conditions du séjour envisagé ne sont pas fiables ». Soit…
L’excellentissime nouvelle de la matinée est pour Grogol à qui notre bon pays a fourni un visa pour qu’elle rende visite à son copain français ! Elle fait partie des 10% ! Probablement car elle est prof de français, et qu’elle diffuse la culture du pays des Lumières (!) à l’étranger. Sohrab son frère est aussi vraiment heureux pour elle : « three months out of this hell, it’s great for her ».

Vers la Caspienne

Ces iraniens sont donc comme nous mais n’ont pas les mêmes libertés, tout simplement. Imaginons-nous un peu à leur place, ou imaginons-nous en France, avec quelques potes ça et là qui ont toutes ces privations, non pas par choix mais par naissance. Ça ferait bizarre non ?! On n’est pas naïf, on savait que ça existait sur cette petite terre (voire en France), et il y a pire bien sûr. Mais pour l’Iran, cela est couplé à l’image que l’on a de ce pays depuis l’Occident. Ils subissent l’injustice au quotidien et on a un œil encore plus injuste sur ce qu’ils « seraient ». Qu’on change d’avis, qu’on soit plus juste envers eux.

Pour en revenir aux questions de l’intro : à part les réac’ fondamentalistes, tout les iraniens sont heureux de voir des étrangers, d’où qu’ils viennent. Au contraire, cela leur permet de voyager, c’est leur fenêtre sur le monde. Par ailleurs, non, les frontières ne sont pas fermées, mais vu l’accueil de ce peuple, on serait tenté de prolonger encore le séjour…

Le frelon d’or : le visa de Grogol ! Bon voyage de part chez nous.
La pompe à vélo : le refus de visa de Momo.
Le fun : la version yaourt de « Je ne regrette rien » par Momo. Extraordinaire. Si on regarde bien c’est quand-même très compliqué à prononcer tout ces « r » pour un étranger.

Benjo

PS musical de Benjo : Mistake, du groupe underground Radio Tehran
PS musical de Charpi : Clocks, de Coldplay feat. Buena Vista Social Club (en plus ça fait parti d’un projet appelé APE artist project earth dont les fonds sont reversés à des actions pour lutter en faveur de l’environnement)
PS du PS musical : pour les non experts d'internet, il vous suffit d'appuyer sur le titre de la chanson pour l'écouter !

Si ça vous dit, allez jeter un coup d’œil sur les sites de nos amis Mahdi et Fafa, artistes réputés dans le pays :
www.mehdifatehi.com le designer
www.mahartgallery.com la sculptrice (mettre en anglais, sauf si vous lisez le farsi, aller à Farzaneh Hoseini)


4 commentaires:

  1. fifi brin d'acier22 octobre 2012 à 22:14

    Radio Tehran, j'adooooore!
    Vous aviez peut-être vu le film : Les chats persans, ce film de Bahman Ghobadi, tourné en cachette, ça m'avait trop donné envie d'aller là-bas, mais avec vos posts, l'envie est redoublée. Je ne sais pas si c'est vrai, mais j'avais eu l'impression en regardant ce film (impression que je retrouve en lisant vos posts) qu'il y avait une jeunesse fort dynamique, qui bouge, pleine de vie et des milieux undergounds plutôt "cool" malgré tous les problèmes politiques et les interdits... Et la ville? Téhéran, c'est comment? Plus de photos svp de la ville!!! A moins qu'il y en ait sur FB...

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    1. Cher Fifi cher inconnu cher lecteur assidu,
      Yep, t'as plutôt raison sur tes commentaires et sur ce que l'on perçoit. Pas vu ce film (charpi peut-être) mais j'en ai ouïe dire il y a quelques jours, donc à trouver. Mais c'est pas ici qu'on va le télécharger ! Ce qui ramène aux photos, comme je le mets en début de post c'est la grosse galère, on sera dans un autre pays dans une dizaine, ça devrait aller mieux. Et oui, il y a des photos sur fb...

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  2. Oui cher fifi brin d'acier tu as un certainement un profil phasebouc comme tout le monde ...

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  3. il y a un verb en persan qu'il s'appele GoozGooz et ca veut dire parler beaucoup pour "show off" c'est qqch que Banj a fait dans la 3 - 4 em paragraphe ( Backgammon ) parceque c'etait moi qui gagnais tout le temps !!!!!

    Mehdi مهدی

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