Non à la privatisation
tout court ? On peut s'asseoir autour d'une table et en discuter pendant des
heures. Il faut juste être flexible. C’est ce que l'on nous demande : de
la flexibilité ! Mais je crois que pour le domaine économique, la pensée
unique domine et empêche tout autre raisonnement d'émerger.
Je suis à Sapa dans le
nord du Vietnam. Je suis venu ici pour une seule chose : grimper le Fansipan,
le plus haut sommet d’Asie du sud-est (sans compter la Birmanie ni la Malaisie NDLR^^). Situé à 3143m dans les Alpes Tonkinoises. Autant vous dire tout de
suite qu'il faut une certaine envie pour venir à Sapa. Quitte à m'attirer les
foudres de certains, Sapa c'est Disneyland sans le côté fun. Cette station
climatique est devenue en quelques années une des traductions concrètes de ce
que je nomme la privatisation de la nature. Des que vous arrivez, très tôt le
matin, les chauffeurs de bus et motobikes vous sautent dessus, vous tirent par
le bras. Ils vous annoncent des prix déments pour couvrir les 35 km de Lao Cai
à Sapa.
Puis vous arrivez à
Sapa. Une succession de resto, de magasins d'art traditionnel (vous vous en
doutez, du fait main) et des boutiques North
face à la chaine à des prix imbattables, en-dessous c’est gratuit. Ils vont
même jusqu'a copier les certificats d'authenticité. La Chine n’est pas loin ça
se sent. Donc beaucoup de touristes à Sapa. Dans mon cas principalement des
français et des israéliens. On vient à Sapa pour trekker et faire du homestay
à la rencontre des Hmong et des Dao.
J'ai passé ma première
journée à chercher un moyen pour grimper seul le Fansipan et en une journée. J'avais
checké la météo et le temps était
magnifique pour deux jours.
J'ai loué une motobike
afin de me rendre à l'entrée du parc national. A peine descendu, les gardiens
me demandent où est mon guide, mon ticket d'entrée, mes permissions. HEEEEEEE
on se détend. Je suis venu justement pour prendre des infos. On m'explique que
je dois passer par une agence, avoir un guide, que c’est dangereux, impossible
en une journée. Pourtant le panneau posé à l'entrée indiquant les régulations
pour les séjours dans le parc ne spécifie en rien tout ça. Bref on ne veut pas
me donner d’infos. Je reste calme et souriant, j'ai appris ça ici. A force d'insister
on me dit qu'il faut que j'achète mon ticket d'entrée à Sapa. Je redescends
dans la vallée, j'arrive au centre d’information touristique. Oui, oui vous
lisez bien. Et pourtant même discours et en prime nerveux le Gabert, du genre
tu me fais chier je suis entrain de pianoter sur mon Ipad et j'ai autre chose à
foutre que renseigner (ce pour quoi je suis payé soi dit en passant). Aucune
info donc, à part que tu dois payer et si t'es pas content tu te casses. Ok !!
On the top ! |
Je tourne en ville,
demande à droite et à gauche. Un guide Hmong fini par me dire qu'il y a un
centre de conservation de la nature qui vend les tickets et les autorisations
nécessaires. Je m'y rends. Plus loin sur la route, je me fais arrêter par une
barrière. Je dois payer un droit d'entrée dans un village Hmong. Ici la plupart
des villages ont posé des taxes. Uniquement pour les touristes, bien sur.
J'explique ma situation, le gardien me laisse passer sans payer, le centre
étant juste derrière la barrière. Le complot continu, centre fermé. Désespéré
je rentre à l'hôtel. Je ne veux pas gâcher ces deux jours de temps magnifique.
Je commence à accepter le fait que je vais devoir passer par un guide ou une
agence. Je fais le tour des operateurs avec des propositions toutes plus
farfelues les unes que les autres : « Pour une journée, seul ? Ok 100
dollars ! », « Une journée ? Ah non on fait pas, juste des package de
deux, trois ou quatre jours à 50 dollars par jour. »
Pourquoi c’est aussi
cher ? « Mais mon cher monsieur, les frais de fonctionnement, les
autorisations, la masse salariale (les guides et les porteurs : mais j'en ai
pas besoin, merde !!) et surtout la protection de la nature, l'entretien du
parc. » Bon ok. Je finis par me dire que je suis venu grimper et que
demain est la seule journée de temps clair prévu pour la semaine. Je rentre
dans une ultime agence. Ils me proposent 35 dollars la journée pour le package
deux jours. Départ demain avec un groupe de trois autres personnes. Allez je
prends. Putain payer pour marcher et grimper une montagne. Droit commun. Pour
moi c'est incompréhensible. Surtout que le coup des guides et des agences, ce
n'est que pour les touristes. Pour les vietnamiens, l'accès au ticket d'entrée
est étrangement simplifie.
Imaginez la même chose
en France et imaginez si un noir-africain se présentait à l'entrée du
Mercantour et qu'il reçoive en pleine gueule ces conneries de requêtes.
Le lendemain, le
départ était prévu pour neuf heures. Pourquoi si tard ? Finalement on ne
commence la marche qu'à partir de 10h du matin. Aux heures les plus chaudes. Ça
sent le faisan ! Des pauses toutes les dix minutes. On met quasiment deux
heures pour arriver au premier camp situe à 2200 m. 300 m de dénivelé pas trop
compliqué et à la vitesse d'un pépé en déambulateur. On s'arrête pour le
déjeuner. Un déjeuner typiquement local qui mérite l'argent payé : sandwich
avec concombre, tomate, porc en boite, Vache qui rit et un fruit vietnamiem,
une pomme du Chili. Ok je sens qu'il va falloir prendre les devants. J'expédie
Le Repas et demande au guide si je peux marcher à mon rythme et faire le sommet
aujourd'hui. Le guide Hmong est un jeune du coin et très sympa il me répond : Oui
c'est possible. Encore trois heures avant le sommet. C'est ardu mais faisable.
Vous vous souvenez : impossible à faire en une journée, trop long, besoin d'un
guide... et toutes ces conneries. J'entends un guide me dire tout le contraire,
une fois l'argent déposé sur la table bien sur.
Je reste concentré sur
mon objectif. Le temps est splendide, mars est la période d'éclosion des fleurs
sauvages, les couleurs pointent leur nez un peu partout sur les pentes. Le
sentier est très facile à suivre, il est jonché de déchets. J'entends encore résonner
les mots des mecs des agences : surtout
l'entretien du parc. Et les régulations pour les touristes, l'une d'elles
dit "tout le monde est responsable
du maintien de la propreté des lieux, pas de cueillette autorisée, etc
etc." Pendant ces longs mois, toutes les fois que j'ai pu marcher dans
des parcs, les mêmes avertissements étaient stipulés. Mais je n’ai jamais vu d’occidentaux
jeter leur merde n'importe où. Les locaux oui et allégrement. Faudrait les
prévenir. Ah c'est déjà fait ?! Toutes les régulations sont en Vietnamien. Ah
bon ? Mais à quoi sert l'éducation ? On s'en fout.
De toute beauté |
Je continu seul, sans
le groupe. Une heure et demi plus tard, en ayant bien bourriné j'arrive au
deuxième camp à deux mille huit cents mètres. Et là c'est catastrophique.
DAGALASSE, des refuges en bambous, des bâches de plastique en guise de toit à moitié
déchirées par les vents. Des déchets partout comme au premier camp. Et puis
aussi un magasin où l'on vend de l'eau, des boissons sucrées et autres éléments
nutritifs locaux à des prix hallucinants. Dix fois le prix, et ce sans
sourciller. Tout est tenu par des Hmong, ces peuplades locales si pures
d'esprit, à la vie si simple. En clair que l'économie capitaliste a fait
basculer du côté obscur.
Je m'arrête une
dizaine de minutes plus haut, histoire de recharger les batteries et d'attaquer
la dernière tranche, encore 350 m avant le sommet. Et putain, c'est pas le plus
haut sommet du monde mais c'est une marche dure, vraiment. Ça descend, ca
monte, ca redescend. Tu passes quasiment une heure à jouer au yoyo à deux mille
neuf cents. Ça scie les pattes. Sur le chemin je rencontre un groupe parti en
milieu de matinée du deuxième camp. Un des deux guides Hmong est étonne de me
voir seul. Sans même me dire bonjour, il enchaine légèrement agressif pour pas
dire complètement antipathique :
-
" pas de guide, tu es seul, c'est interdit et c'est
dangereux".
-
"Mon guide est plus bas, il m'a donné son accord
pour grimper seul".
-
" Tu es sur ? C'est dangereux de partir maintenant
pour le sommet ? (il est 14h, le sommet est à une heure de marche NDLR). En
tout cas c'est bien de t'avoir vu avant la nuit, tu fais comme tu veux, c'est
toi qui voit...
Au fond de moi, je me
dis « c'est quoi ces insinuations. On est marcheurs mec, on aime la
montagne, prendre du plaisir et au lieu de m'encourager tu me sors des merdes
pareils. Si c'est si dangereux, pourquoi t'es là trou du cul ?! Regarde
mon sac ducon, y’a du matos dedans. Je connais la montagne et je la respecte.
Si elle veut me prendre et bien qu'elle me prenne. Apres tout mourir ici me va
comme un gant plutôt qu'écrasé par une motobike au milieu d'un carrefour de
Hanoi. »
Je n'ai bien entendu
pas répondu comme ca. Je me suis contenté de sourire en clamant que j'allais même
dormir au sommet pour voir le levant. Le mec n'avait aucun humour, il m'a juste
dit que c'était illégal.
Bref j'ai tracé
jusqu'au sommet après un rude chemin. Et là c'est du pur bonheur. Quand tu
touches l'horizon. Une vue dingue. Une panoramique sur l'ensemble des vallées
et montagnes alentours. On distingue Sapa, les rizières qui commencent à
reverdir, la brume enveloppe certaines pentes donnant au lieu un aspect
mystique. Le vent souffle. Je suis avec mes Dieux ici. C'est plein d'énergie
vitale. On oublie tout, on fait le vide. Je partage ce moment avec un
photographe du coin qui campe depuis trois jours 50 m plus bas. C'est illégal
de camper au sommet... Etonnant !!
Une heure à profiter
du temps clair, ça meule mais c'est tellement transcendant. Je redescends avec
une jeune guide Hmong qui s'occupait de deux autrichiens. Elle a passé une
partie du chemin à essayer de me vendre des trucs en ponctuant toutes ces
phrases par "one dollar". Elle blaguait la plupart du temps. Mais
l'esprit reflète bien ce qu'est devenu Sapa : une zone marchande et de la pire
des manières.
Une nuit à deux mille
huit. Enfin une nuit en refuge. Je n'ai pas dormi grand chose entre le concert
de ronflements et les entrées et sorties discrètes de ceux qui voulaient se
vider la buche. Bref je m'en foutais pour une fois j'avais fait le job avant.
Le matin comme prévu,
le temps s'est dégradé. Tout était bouché. Je suis quand même reparti une
deuxième fois au sommet avec le groupe cette fois. Les guides m'ont prit pour
un cinglé. Mais l'ambiance était bien différente. La brume partout, le soleil
perçait parfois. C'était cool. Au sommet, il faisait nettement plus froid, on
voyait pas grand chose. On est redescendu jusqu'au second camp puis le premier.
On stoppe les machines pour un déjeuner typiquement local deuxième édition avec
de l'ananas cette fois. WAAAAOUUUUUUHHHHH. Puis le guide nous annonce qu'il n'y
a plus d'eau. Putain oh les mecs vous exagérez ! Vous nous dites qu'il y a
des porteurs, qu'ils s'occupent de tout, qu'on a besoin de rien prendre mais
finalement si on n’avait pas pris notre biz'
pour être autonome deux jours on avait quasi que dalle. Voyant la fronde arrivée,
le guide, dont ce n’est pas sa faute entre nous, se met à faire bouillir de
l'eau. Cool. Encore six heures de marche sans eau ça aurait été un peu rude.
Le guide nous a
proposé de passer par un autre chemin. Et là c’était splendide. Passages au
milieu des rizières, des villages typiques, vraiment typiques ou les locaux te
jettent des regards mi-menaçants mi-curieux. Ils baissent la tête, ne disent
rien. Ils sont très enjoués avec notre guide mais avec nous se ferment complètement.
Moi je m'en fous, je préfère ça. Le coup du homestay
à la découverte de la faune locale très peu pour moi et quand je vois tous ces touristes
qui se prennent pour des docteurs es
ethnologie en passant une nuit dans un village. Ça me fait doucement rire.
Marcher et profiter des lieux ok mais se mettre à photographier au ras du nez
une hmomg en train de filer la soie ou de bêcher son jardin. Imagine un
étranger faire ça avec toi. Qu'on leur foute la paix. Le simple fait de
traverser le village, tu comprends pas mal de choses : économie rizicole de
survie, école et maisons sommaire. Tout le monde travaille aux champs.
Fais comme maman, mange ta soupe petit jedi |
Et puis, et puis
malheureusement un peu plus loin dans la vallée à l'approche de Cat Cat, un de
ces villages Hmong pourri par le fric, un magasin improvise North face émerge au milieu de la brume.
Hé merde ! N'empêche que le chemin du retour était magnifique, j'étais rincé mais
la compagnie des trois collègues de marche donnait l'énergie nécessaire. Ils
ont passé une nuit chez l'habitant (sans le voir d'après leurs dires ^^). Le
guide m'a remonté jusqu'à Sapa. A peine arrivé que le folklore de quémandage
Hmong et Dao recommence. Partout en ville tu peux voir des locaux essayer de te
vendre n'importe quoi à n'importe quel prix. La plupart sont des femmes, des
enfants parfois. Ils parlent tous étonnement anglais. Ils ne te lâchent pas, si
tu rentres dans un magasin, ils attendent à la sortie. Idem si tu déjeunes.
Souvent tu leur dis « j'en ai pas besoin » « Pourquoi ? »
te répondent-elles. Putain il faut justifier des non besoins ?! C'est quoi
ce bordel. T'essayes de rester sympa et de glisser un poli maybe later mais elles ne comprennent toujours pas. Bref maintenant
avant même qu'elles parlent direct c'est no
and never. Quelle belle relation sincère et humaine entre deux personnes de
culture différente.
Le frelon d'or : évidemment ces deux jours pleins dans les montagnes des alpes
tonkinoises. J'en ai pris plein les mirettes. Même à Sapa, il y a encore des
trésors juste là pour être vus et non pour être accaparés.
La pompe à vélo : Encore un bel exemple qui m'a convaincu du désastre de l'économie
capitaliste. Je la haïssais déjà, je ne suis que renforcé dans mes convictions
que cette économie sent la mort et apporte la désolation autour d'elle. Ici, à
Sapa, le résultat est que l'on est prit pour des planches à billets rien de
plus. Et que derrière ça, il y a clairement une ligne xénophobe et misérabiliste.
Tu es blanc = tu es riche parce que tu viens d'un pays riche = tu peux, tu dois
dépenser ton fric pour nous sauver de la pauvreté. Vaste connerie. Vous seriez
étonnés de voir comment les gens ici possèdent deux, trois téléphones dernière
génération, plusieurs motobikes, une grosse cylindrée genre SUV, maison,
terrain et en plus la vie n'est pas chère. Ajouter à ça les sommes colossales
déversées par les touristes chaque jour. Tout devient potentiellement un moyen
de tirer du pognon. Heureusement ils ne font pas encore payer les entrées des
rizières. Alors bien entendu, je suis aussi pris la dedans mais ça me pose
quand même quelque cas de conscience. Le niveau atteint ici et ailleurs pousse
de plus en plus de gens à être fataliste et à glisser vers une certaine forme
de pensée unique fabriquée de toute pièce par quelques lobbys surpuissants. Hé
!! WAAAAAKKKKKKKKEEEEEEE UUUUUUPPPPPPPPP comme dit ce grand philosophe Zack de
la Rocha.
Le fun de la semaine : Ce matin je me réveille. Je vais pour petit déjeuner et acheter des
fruits. L'ananas découpé se paye entre huit mille et dix mille dong (en gros 50
cents dollars US). La vendeuse m'annonce 30000 dongs. Je me tire et
miraculeusement le prix descend, descend encore jusqu'a atteindre le prix donné
pour tous y compris les locaux. Elle parle anglais et je lui demande : au lieu
de nous prendre pour des jambons pourquoi tu ne me dis pas le prix correct tout
de suite ? Elle me répond "white people". No comment.
Charpi
PS
Musical de Charpi : Moanin’, de Wes
Montgomery
PS
Musical de Benjo : Walk this way, de Run
DMC (feat. Aerosmith)
Comme d'hab, un très bon article, avec toujours ce petit quelque chose de naïf dans la découverte et les commentaires de l'auteur.
RépondreSupprimerTu reviens quand sur Lyon déjà?
Sinon, si tu peux, plus de photos mec!
Marcus
Bonjour,
RépondreSupprimerNous sommes des élèves de seconde, et nous devons écrire un journal pour un concours d'actualités avec des articles sur le thème du voyage.
Nous sommes intéressés par les motifs d'un départ pour le tour du monde.
Nous aimerions vous posez quelques questions concernant votre voyage.
Pourriez-vous me contacter à cette adresse : chloem.maurel @ gmail.com (enlevez les espaces) afin que nous puissions vous envoyer les questions?
Merci d'avance.