8 avr. 2013

Non à la privatisation de la nature !

Non à la privatisation tout court ? On peut s'asseoir autour d'une table et en discuter pendant des heures. Il faut juste être flexible. C’est ce que l'on nous demande : de la flexibilité ! Mais je crois que pour le domaine économique, la pensée unique domine et empêche tout autre raisonnement d'émerger.
Je suis à Sapa dans le nord du Vietnam. Je suis venu ici pour une seule chose : grimper le Fansipan, le plus haut sommet d’Asie du sud-est (sans compter la Birmanie ni la Malaisie NDLR^^). Situé à 3143m dans les Alpes Tonkinoises. Autant vous dire tout de suite qu'il faut une certaine envie pour venir à Sapa. Quitte à m'attirer les foudres de certains, Sapa c'est Disneyland sans le côté fun. Cette station climatique est devenue en quelques années une des traductions concrètes de ce que je nomme la privatisation de la nature. Des que vous arrivez, très tôt le matin, les chauffeurs de bus et motobikes vous sautent dessus, vous tirent par le bras. Ils vous annoncent des prix déments pour couvrir les 35 km de Lao Cai à Sapa.
Puis vous arrivez à Sapa. Une succession de resto, de magasins d'art traditionnel (vous vous en doutez, du fait main) et des boutiques North face à la chaine à des prix imbattables, en-dessous c’est gratuit. Ils vont même jusqu'a copier les certificats d'authenticité. La Chine n’est pas loin ça se sent. Donc beaucoup de touristes à Sapa. Dans mon cas principalement des français et des israéliens. On vient à Sapa pour trekker et faire du homestay à la rencontre des Hmong et des Dao.
J'ai passé ma première journée à chercher un moyen pour grimper seul le Fansipan et en une journée. J'avais checké la météo et le temps était magnifique pour deux jours.
J'ai loué une motobike afin de me rendre à l'entrée du parc national. A peine descendu, les gardiens me demandent où est mon guide, mon ticket d'entrée, mes permissions. HEEEEEEE on se détend. Je suis venu justement pour prendre des infos. On m'explique que je dois passer par une agence, avoir un guide, que c’est dangereux, impossible en une journée. Pourtant le panneau posé à l'entrée indiquant les régulations pour les séjours dans le parc ne spécifie en rien tout ça. Bref on ne veut pas me donner d’infos. Je reste calme et souriant, j'ai appris ça ici. A force d'insister on me dit qu'il faut que j'achète mon ticket d'entrée à Sapa. Je redescends dans la vallée, j'arrive au centre d’information touristique. Oui, oui vous lisez bien. Et pourtant même discours et en prime nerveux le Gabert, du genre tu me fais chier je suis entrain de pianoter sur mon Ipad et j'ai autre chose à foutre que renseigner (ce pour quoi je suis payé soi dit en passant). Aucune info donc, à part que tu dois payer et si t'es pas content tu te casses. Ok !!

On the top !

Je tourne en ville, demande à droite et à gauche. Un guide Hmong fini par me dire qu'il y a un centre de conservation de la nature qui vend les tickets et les autorisations nécessaires. Je m'y rends. Plus loin sur la route, je me fais arrêter par une barrière. Je dois payer un droit d'entrée dans un village Hmong. Ici la plupart des villages ont posé des taxes. Uniquement pour les touristes, bien sur. J'explique ma situation, le gardien me laisse passer sans payer, le centre étant juste derrière la barrière. Le complot continu, centre fermé. Désespéré je rentre à l'hôtel. Je ne veux pas gâcher ces deux jours de temps magnifique. Je commence à accepter le fait que je vais devoir passer par un guide ou une agence. Je fais le tour des operateurs avec des propositions toutes plus farfelues les unes que les autres : « Pour une journée, seul ? Ok 100 dollars ! », « Une journée ? Ah non on fait pas, juste des package de deux, trois ou quatre jours à 50 dollars par jour. »
Pourquoi c’est aussi cher ? « Mais mon cher monsieur, les frais de fonctionnement, les autorisations, la masse salariale (les guides et les porteurs : mais j'en ai pas besoin, merde !!) et surtout la protection de la nature, l'entretien du parc. » Bon ok. Je finis par me dire que je suis venu grimper et que demain est la seule journée de temps clair prévu pour la semaine. Je rentre dans une ultime agence. Ils me proposent 35 dollars la journée pour le package deux jours. Départ demain avec un groupe de trois autres personnes. Allez je prends. Putain payer pour marcher et grimper une montagne. Droit commun. Pour moi c'est incompréhensible. Surtout que le coup des guides et des agences, ce n'est que pour les touristes. Pour les vietnamiens, l'accès au ticket d'entrée est étrangement simplifie.
Imaginez la même chose en France et imaginez si un noir-africain se présentait à l'entrée du Mercantour et qu'il reçoive en pleine gueule ces conneries de requêtes.
Le lendemain, le départ était prévu pour neuf heures. Pourquoi si tard ? Finalement on ne commence la marche qu'à partir de 10h du matin. Aux heures les plus chaudes. Ça sent le faisan ! Des pauses toutes les dix minutes. On met quasiment deux heures pour arriver au premier camp situe à 2200 m. 300 m de dénivelé pas trop compliqué et à la vitesse d'un pépé en déambulateur. On s'arrête pour le déjeuner. Un déjeuner typiquement local qui mérite l'argent payé : sandwich avec concombre, tomate, porc en boite, Vache qui rit et un fruit vietnamiem, une pomme du Chili. Ok je sens qu'il va falloir prendre les devants. J'expédie Le Repas et demande au guide si je peux marcher à mon rythme et faire le sommet aujourd'hui. Le guide Hmong est un jeune du coin et très sympa il me répond : Oui c'est possible. Encore trois heures avant le sommet. C'est ardu mais faisable. Vous vous souvenez : impossible à faire en une journée, trop long, besoin d'un guide... et toutes ces conneries. J'entends un guide me dire tout le contraire, une fois l'argent déposé sur la table bien sur.
Je reste concentré sur mon objectif. Le temps est splendide, mars est la période d'éclosion des fleurs sauvages, les couleurs pointent leur nez un peu partout sur les pentes. Le sentier est très facile à suivre, il est jonché de déchets. J'entends encore résonner les mots des mecs des agences : surtout l'entretien du parc. Et les régulations pour les touristes, l'une d'elles dit "tout le monde est responsable du maintien de la propreté des lieux, pas de cueillette autorisée, etc etc." Pendant ces longs mois, toutes les fois que j'ai pu marcher dans des parcs, les mêmes avertissements étaient stipulés. Mais je n’ai jamais vu d’occidentaux jeter leur merde n'importe où. Les locaux oui et allégrement. Faudrait les prévenir. Ah c'est déjà fait ?! Toutes les régulations sont en Vietnamien. Ah bon ? Mais à quoi sert l'éducation ? On s'en fout.

De toute beauté

Je continu seul, sans le groupe. Une heure et demi plus tard, en ayant bien bourriné j'arrive au deuxième camp à deux mille huit cents mètres. Et là c'est catastrophique. DAGALASSE, des refuges en bambous, des bâches de plastique en guise de toit à moitié déchirées par les vents. Des déchets partout comme au premier camp. Et puis aussi un magasin où l'on vend de l'eau, des boissons sucrées et autres éléments nutritifs locaux à des prix hallucinants. Dix fois le prix, et ce sans sourciller. Tout est tenu par des Hmong, ces peuplades locales si pures d'esprit, à la vie si simple. En clair que l'économie capitaliste a fait basculer du côté obscur.
Je m'arrête une dizaine de minutes plus haut, histoire de recharger les batteries et d'attaquer la dernière tranche, encore 350 m avant le sommet. Et putain, c'est pas le plus haut sommet du monde mais c'est une marche dure, vraiment. Ça descend, ca monte, ca redescend. Tu passes quasiment une heure à jouer au yoyo à deux mille neuf cents. Ça scie les pattes. Sur le chemin je rencontre un groupe parti en milieu de matinée du deuxième camp. Un des deux guides Hmong est étonne de me voir seul. Sans même me dire bonjour, il enchaine légèrement agressif pour pas dire complètement antipathique :
-          " pas de guide, tu es seul, c'est interdit et c'est dangereux".
-          "Mon guide est plus bas, il m'a donné son accord pour grimper seul".
-          " Tu es sur ? C'est dangereux de partir maintenant pour le sommet ? (il est 14h, le sommet est à une heure de marche NDLR). En tout cas c'est bien de t'avoir vu avant la nuit, tu fais comme tu veux, c'est toi qui voit...
Au fond de moi, je me dis « c'est quoi ces insinuations. On est marcheurs mec, on aime la montagne, prendre du plaisir et au lieu de m'encourager tu me sors des merdes pareils. Si c'est si dangereux, pourquoi t'es là trou du cul ?! Regarde mon sac ducon, y’a du matos dedans. Je connais la montagne et je la respecte. Si elle veut me prendre et bien qu'elle me prenne. Apres tout mourir ici me va comme un gant plutôt qu'écrasé par une motobike au milieu d'un carrefour de Hanoi. »
Je n'ai bien entendu pas répondu comme ca. Je me suis contenté de sourire en clamant que j'allais même dormir au sommet pour voir le levant. Le mec n'avait aucun humour, il m'a juste dit que c'était illégal.
Bref j'ai tracé jusqu'au sommet après un rude chemin. Et là c'est du pur bonheur. Quand tu touches l'horizon. Une vue dingue. Une panoramique sur l'ensemble des vallées et montagnes alentours. On distingue Sapa, les rizières qui commencent à reverdir, la brume enveloppe certaines pentes donnant au lieu un aspect mystique. Le vent souffle. Je suis avec mes Dieux ici. C'est plein d'énergie vitale. On oublie tout, on fait le vide. Je partage ce moment avec un photographe du coin qui campe depuis trois jours 50 m plus bas. C'est illégal de camper au sommet... Etonnant !!
Une heure à profiter du temps clair, ça meule mais c'est tellement transcendant. Je redescends avec une jeune guide Hmong qui s'occupait de deux autrichiens. Elle a passé une partie du chemin à essayer de me vendre des trucs en ponctuant toutes ces phrases par "one dollar". Elle blaguait la plupart du temps. Mais l'esprit reflète bien ce qu'est devenu Sapa : une zone marchande et de la pire des manières.
Une nuit à deux mille huit. Enfin une nuit en refuge. Je n'ai pas dormi grand chose entre le concert de ronflements et les entrées et sorties discrètes de ceux qui voulaient se vider la buche. Bref je m'en foutais pour une fois j'avais fait le job avant.
Le matin comme prévu, le temps s'est dégradé. Tout était bouché. Je suis quand même reparti une deuxième fois au sommet avec le groupe cette fois. Les guides m'ont prit pour un cinglé. Mais l'ambiance était bien différente. La brume partout, le soleil perçait parfois. C'était cool. Au sommet, il faisait nettement plus froid, on voyait pas grand chose. On est redescendu jusqu'au second camp puis le premier. On stoppe les machines pour un déjeuner typiquement local deuxième édition avec de l'ananas cette fois. WAAAAOUUUUUUHHHHH. Puis le guide nous annonce qu'il n'y a plus d'eau. Putain oh les mecs vous exagérez ! Vous nous dites qu'il y a des porteurs, qu'ils s'occupent de tout, qu'on a besoin de rien prendre mais finalement si on n’avait pas pris notre biz' pour être autonome deux jours on avait quasi que dalle. Voyant la fronde arrivée, le guide, dont ce n’est pas sa faute entre nous, se met à faire bouillir de l'eau. Cool. Encore six heures de marche sans eau ça aurait été un peu rude.
Le guide nous a proposé de passer par un autre chemin. Et là c’était splendide. Passages au milieu des rizières, des villages typiques, vraiment typiques ou les locaux te jettent des regards mi-menaçants mi-curieux. Ils baissent la tête, ne disent rien. Ils sont très enjoués avec notre guide mais avec nous se ferment complètement. Moi je m'en fous, je préfère ça. Le coup du homestay à la découverte de la faune locale très peu pour moi et quand je vois tous ces touristes qui se prennent pour des docteurs es ethnologie en passant une nuit dans un village. Ça me fait doucement rire. Marcher et profiter des lieux ok mais se mettre à photographier au ras du nez une hmomg en train de filer la soie ou de bêcher son jardin. Imagine un étranger faire ça avec toi. Qu'on leur foute la paix. Le simple fait de traverser le village, tu comprends pas mal de choses : économie rizicole de survie, école et maisons sommaire. Tout le monde travaille aux champs.

Fais comme maman, mange ta soupe petit jedi

Et puis, et puis malheureusement un peu plus loin dans la vallée à l'approche de Cat Cat, un de ces villages Hmong pourri par le fric, un magasin improvise North face émerge au milieu de la brume. Hé merde ! N'empêche que le chemin du retour était magnifique, j'étais rincé mais la compagnie des trois collègues de marche donnait l'énergie nécessaire. Ils ont passé une nuit chez l'habitant (sans le voir d'après leurs dires ^^). Le guide m'a remonté jusqu'à Sapa. A peine arrivé que le folklore de quémandage Hmong et Dao recommence. Partout en ville tu peux voir des locaux essayer de te vendre n'importe quoi à n'importe quel prix. La plupart sont des femmes, des enfants parfois. Ils parlent tous étonnement anglais. Ils ne te lâchent pas, si tu rentres dans un magasin, ils attendent à la sortie. Idem si tu déjeunes. Souvent tu leur dis « j'en ai pas besoin » « Pourquoi ? » te répondent-elles. Putain il faut justifier des non besoins ?! C'est quoi ce bordel. T'essayes de rester sympa et de glisser un poli maybe later mais elles ne comprennent toujours pas. Bref maintenant avant même qu'elles parlent direct c'est no and never. Quelle belle relation sincère et humaine entre deux personnes de culture différente.

Le frelon d'or : évidemment ces deux jours pleins dans les montagnes des alpes tonkinoises. J'en ai pris plein les mirettes. Même à Sapa, il y a encore des trésors juste là pour être vus et non pour être accaparés.
La pompe à vélo : Encore un bel exemple qui m'a convaincu du désastre de l'économie capitaliste. Je la haïssais déjà, je ne suis que renforcé dans mes convictions que cette économie sent la mort et apporte la désolation autour d'elle. Ici, à Sapa, le résultat est que l'on est prit pour des planches à billets rien de plus. Et que derrière ça, il y a clairement une ligne xénophobe et misérabiliste. Tu es blanc = tu es riche parce que tu viens d'un pays riche = tu peux, tu dois dépenser ton fric pour nous sauver de la pauvreté. Vaste connerie. Vous seriez étonnés de voir comment les gens ici possèdent deux, trois téléphones dernière génération, plusieurs motobikes, une grosse cylindrée genre SUV, maison, terrain et en plus la vie n'est pas chère. Ajouter à ça les sommes colossales déversées par les touristes chaque jour. Tout devient potentiellement un moyen de tirer du pognon. Heureusement ils ne font pas encore payer les entrées des rizières. Alors bien entendu, je suis aussi pris la dedans mais ça me pose quand même quelque cas de conscience. Le niveau atteint ici et ailleurs pousse de plus en plus de gens à être fataliste et à glisser vers une certaine forme de pensée unique fabriquée de toute pièce par quelques lobbys surpuissants. Hé !! WAAAAAKKKKKKKKEEEEEEE UUUUUUPPPPPPPPP comme dit ce grand philosophe Zack de la Rocha.
Le fun de la semaine : Ce matin je me réveille. Je vais pour petit déjeuner et acheter des fruits. L'ananas découpé se paye entre huit mille et dix mille dong (en gros 50 cents dollars US). La vendeuse m'annonce 30000 dongs. Je me tire et miraculeusement le prix descend, descend encore jusqu'a atteindre le prix donné pour tous y compris les locaux. Elle parle anglais et je lui demande : au lieu de nous prendre pour des jambons pourquoi tu ne me dis pas le prix correct tout de suite ? Elle me répond "white people". No comment.

Charpi

PS Musical de Charpi : Moanin’, de Wes Montgomery
PS Musical de Benjo : Walk this way, de Run DMC (feat. Aerosmith)

2 commentaires:

  1. Comme d'hab, un très bon article, avec toujours ce petit quelque chose de naïf dans la découverte et les commentaires de l'auteur.

    Tu reviens quand sur Lyon déjà?
    Sinon, si tu peux, plus de photos mec!

    Marcus

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  2. Bonjour,

    Nous sommes des élèves de seconde, et nous devons écrire un journal pour un concours d'actualités avec des articles sur le thème du voyage.
    Nous sommes intéressés par les motifs d'un départ pour le tour du monde.
    Nous aimerions vous posez quelques questions concernant votre voyage.
    Pourriez-vous me contacter à cette adresse : chloem.maurel @ gmail.com (enlevez les espaces) afin que nous puissions vous envoyer les questions?

    Merci d'avance.

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