Une histoire birmane
En parcourant le
pays, on sent qu’il évolue à vitesse grand V. On sent que l’on est à une
période charnière, que ça bouillonne. L’Histoire est en train de s’écrire. Les
langues se délient, des prisonniers sont libérés, les capitaux arrivent,
l’espoir se lie sur les visages et dans les comportements. Après des décennies
de dictature l’espoir pointe le bout de son nez. Une histoire birmane.
Le pays est situé à
la confluence de l’Inde, de la Chine et de l’Asie du Sud-est, il a donc depuis
tout temps été influencé par ces voisins, souvent encombrant et faisant
désormais partis des populations constituant le pays. Plusieurs centaines de
minorités composent la nation Myanmar, ce qui en fait un Etat très diversifié
dans sa population et ses cultures et par conséquent un pays très difficile à
unifier et gérer. Les conflits interethniques et interreligieux sont encore
bien présents et plusieurs zones sont interdites aux touristes.
68% de la
population est constitué de birmans, arrivés du Tibet au premier millénaire
après J.C. Les anglais ont utilisé leur nom pour renommer le pays tout entier.
Les Shans, originaires de Thaïlande, représentent 13% de la population ;
les Karens environ 7%, et ainsi de suite. Ces peuples sont souvent repartis par
régions et sont eux-mêmes subdivisés en groupes ethniques où la langue est
différente d’un village à l’autre (un peu comme ce que j’ai pu voir vers Sapa
au Nord-ouest du Vietnam).
Le soleil se lève sur la Birmanie |
Ces différents
peuples et royaumes se sont affrontés pendant des siècles durant, avant
l’arrivée des britannique dans la première moitié du XIXème siècle
qui ont mit tout le monde d’accord. Divisant pour mieux régner, une recette
toujours efficace, ils ont favorisé certaines minorités au détriment d’autres.
Indépendants depuis 1948, les conflits continuent encore entre l’armée
régulière et certaines ethnies minoritaires des régions montagneuses. A Hsipaw
dans l’Est du pays, lors d’un trek, on a croisé une quinzaine de jeunes membres
de l’armée rebelle Shan, armés jusqu’aux dents mais presque sympas. Ils vivent
dans les villages à quelques kilomètres des villes tenues par le gouvernement.
Le Myanmar (autre
nom de la Birmanie, si vous avez suivi) est gouverné depuis 2010 par un
gouvernement civil comme ils disent dans les milieux autorisés. Même s’il
s’ouvre un peu, c’est toujours la junte militaire qui sous-tend le tout,
celle-ci restant actuellement la plus ancienne dictature militaire au monde.
Sympa cette ligne sur le Guinness book non ?!
L’histoire récente
débute pendant la seconde guerre mondiale. Dans un premier temps favorables aux
japonais, les locaux se sont pour la plupart retournés pour soutenir les
occidentaux sur la fin du conflit. Le Général Aung San est la figure
emblématique de l’époque, le Père de
la Nation, qui arrivera à bouter les japs hors de Yangon, puis les rosbifs en
1948, mais qui se fera liquider (avec la majeure partie de son gouvernement) par
un rival la même année.
En 1962, le Général
Ne Win supplante un gouvernement défaillant et plonge le pays dans un isolément
terrible vis-à-vis du reste de la planète. En sus il établit dans son pays un
climat de terreur où toutes les peuplades sont à la merci du bon vouloir des
dirigeants. Le pays s’appauvrit, la corruption fait rage à tous les étages
(Myanmar était il y a encore deux ans dans le top 3 des pays les plus corrompus
au monde, encore le Guinness yeahhh), les gens ont peur et la ferment. Jusqu’à
il y a deux ans, les espions trainaient de partout (jusqu’à se déguiser en
moine) et un tour au poste était le service minimum pour quiconque était prit
entrain de parler à un étranger. La plupart du temps c’était quelques mois en
taule, comme pour tous ceux qui se refusaient à donner leur contribution
financière aux flics…
Pont U-Bein à Mandalay... what else ?! |
Si l’Europe et les
Etats-Unis ont régulièrement sanctionné le pays économiquement, ce dernier a pu
tenir avec l’aide des ses partenaires sud-est asiatique, et surtout grâce à la
Chine qui se fiche éperdument des Droits de l’Homme tant qu’il y a de l’argent
à faire. Les chinois tiennent d’ailleurs ici de nombreux business et sont
reconnus pour leurs compétences dans ce domaine. Tu m’étonnes, avec un bon
pourcentage pour le gouvernement, tout va plus vite quand tu montes ton
business.
Mais tout cela
évolue dans le bon sens depuis deux ans. Il est désormais assez facile de
parler politique, les langues se délient. Cela étant du au fléchissement
progressif du gouvernement qui à bout de souffle économiquement est obligé
d’ouvrir le chemin de la démocratie.
Les prémices de
cette évolution datent de la fin des années quatre-vingt, quand après des
décennies de marasme économique et de constantes dévaluations, des milliers de
personnes ont défilé dans les rues de Yangon le 8 août 1988 (à 8h08). Mais ces
manifestations pacifiques ont été massivement réprimées.
Malheureusement
pour le gouvernement cette période coïncidait avec le retour au pays d’Aung San
Suu Kyi, la fille du Père de la nation, le Général Aung San. Portée à l’insu de
son plein gré par le peuple à prendre la tête de l’opposition, elle mène depuis
le combat pour la démocratisation du pays. Elle créa le NLD (National League
for Democraty) en 1988 et remporta les élections de 1990 avec 82% des voix.
Mais la junte ne l’entendit pas de cette oreille et annula le vote. Depuis elle
n’a plus quitté la Birmanie, assignée à résidence pendant quinze ans,
parcourant le pays le reste du temps, mais évitant toujours de sortir des
frontières, de peur de ne plus pouvoir revenir.
Son courage, sa
détermination, sa politique de réconciliation et de non-violence, rappellent
pour certains un Gandhi ou un Mandela. Elle a d’ailleurs reçu le Prix Nobel de
la Paix en 1991. Elle est désormais la Mère du pays comme le disent librement
l’écrasante majorité des habitants de ce pays. Dans les rues de Yangon et un
peu de partout dans le pays, on trouve des t-shirts, des pins ou des éventails
à son effigie. Et dans la plupart des maisons où je suis rentré trône un
portrait de la Dame, juste en dessous de celui de son père. Plus personne ne
s’en cache, au contraire, les gens en sont fiers, le revendiquent, le crient.
Impossible il y a un peu plus d’un an…
Elu députée en
avril 2012, elle a été reconduite comme Présidente de la NLD début mars et est
grande favorite des élections générales dans deux ans, si la junte ne refait
pas un coup de Trafalgar d’ici là.
Mais avant le
retour aux affaires de la Dame, le pays a vécu plusieurs événements majeurs
dans ce début de millénaire. En 2007, la junte augmentant de 100 à 500 % du
jour au lendemain les denrées alimentaires et carburants, les habitants sont
redescendus dans les rues. Ils ont rapidement été soutenus par les bonzes et
bonzesses (si si ça se dit) qui défilèrent à plusieurs reprises. Ils étaient
environ 100 000 religieux fin septembre mais ont été lourdement réprimés,
causant au minimum 31 morts. Un gouvernement qui se dit bouddhiste mais qui tue
ses moines… A cela s’ajoutent des crises d’origines naturelles. Un peu du
tsunami de 2004 et surtout le cyclone Nargis en 2008 tuant plus de 140 000
personnes. Les dirigeants étant franchement paranos, ils ont retardé l’arrivée
des ONG occidentales, celles-ci accédant aux lieux touchées que trois semaines
après le cyclone.
Le Quartier général de la National League for Democracy, le parti d'Aung San Suu Kyi |
En trainant dans le
headquarter de la NLD à chercher une
improbable entrée pour la conférence, je sentais cette effervescence à la vue des
lendemains qui chantent, ça grouillait dans tous les sens, un bordel sans nom
mais un bordel heureux où tout finira par se remettre en ordre. Après des
décennies à se taire, le peuple retrouve la parole. Nous voila dans la bonne
période, ces années où les espoirs sont permis, juste avant l’accession au
pouvoir et aux problèmes qui vont avec.
Car ça ne va pas
être facile pour la Dame de 67 ans. Déjà dans son propre parti les divisions
apparaissent à l’approche de la grande heure. Elle a rappelé début mars le
besoin d’être soudés, que cela ne durera pas s’ils n’avançaient pas ensemble.
Portée par le peuple elle n’a pas une grande expérience politique, semblerait
très autoritaire et inaccessible, et ne saurait pas très bien conseillée. Elle
doit de plus arriver à être entendu par les nombreuses minorités (parmi
lesquelles elle est généralement bien vue) et doit pouvoir gérer les conflits
interreligieux, notamment entre musulmans (3,5% de la population) et les
bouddhistes (88%). Le viol d’une femme bouddhiste par un musulman dans le nord
il y a quelques mois a ravivé de vieux antagonismes, les conflits faisant de
nombreux morts. Le 21 mars, de nouveaux pugilats antimusulmans ont eu lieux
vers Mandalay faisant encore des dizaines de victimes… Aung San Suu Kyi
elle-même s’épanche peu sur ces sujets, ne voulant pour l’instant ne froisser
personne, et ceci surtout depuis qu’elle est au parlement. Dernièrement, elle
déçoit beaucoup les minorités en raison de ses silences…
Vous l’avez
comprit, cela s’annonce plus que compliqué, mais au moins cela se fera
(espérons-le, je parle comme si cela était déjà fait) dans un pays qui aura
choisi ses dirigeants et qui ne vivra plus dans la peur. Et la Dame pourra toujours s’appuyer sur
Obama, véritable star ici depuis son passage en novembre dernier, qui est venu
dire aux chinois que les States étaient de retour dans le coin.
En tout cas je le
redis, cette période heureuse se perçoit, la liberté de penser et de presse
reprend ses droits (les quotidiens privés sont autorisés depuis le 1er
avril), la confiance réapparait et l’espoir avec, dès que l’on commence à
aborder le sujet.
Au pays du
bouddhisme theravada, où la femme doit d’abord se réincarner en homme pour
trouver son salut, une Dame est la Mère de la nation dans laquelle chacun place
ses espoirs depuis des décennies. Paradoxal n’est-il pas ? « Oui mais
elle est pure » me répond-t-on. Oups.
La suite au
prochain épisode.
Non mais à part ça, ça va, merci |
Le frelon
d’or : la visite de Mandalay, une des nombreuses anciennes
capitales du pays, avec les double dutch
Misha et Pauline et le guide Aung Sisan. On a passé une super journée à
parcourir les faubourgs de la ville, les pagodes, les anciennes maisons
britanniques, les monastères, à rendre visites à de nombreux artisans, et à
voir le coucher de soleil à l’incroyable pont U-Bein, un pont en teck d’1,2 km
ou défilent en continue les birmans. Avec ce guide de rue on a vu des endroits
invisibles pour de pauvres touristes, un voyage dans un autre temps, un peu
comme à Yangon. Et surtout on l’a fait aux guidons de nos meules, et parcourir
un lieu en deux-roues ça change tout.
La pompe à
vélo : la pauvreté des gens. J’y prête moins attention avec
« l’habitude » et en raison de la gentillesse des gens qui pourrait
faire croire qu’ils vivent dans le confort et sans souci matériel. Mais en
dehors des quelques nantis et d’une classe moyenne qui apparait, elle est bien
présente, tout autour de soi.
Le fun de la
semaine : notre guide de trek vers Hsipaw, encore une fois un
guide couillon qui raconte conneries sur conneries, avec son rire aigu et ses
quelques expressions trash en anglais. Et le petit plus, sa dégaine :
chaussures à la Jacouille, pantacourt du genre Bambi mais beaucoup trop large,
t-shirt à l’occidental et casquette Quechua bien trop petite vissée à
l’arrache. « Je l’ai volé à un touriste » nous dit-il tout content avec
ses chicos rougies par les noix de bétel.
Benjo
PS Musical de Benjo : On the road to Mandalay,
de Robbie Williams (clip non tourné en Birmanie), poème de Rudyard Kipling
PS Musical de Charpi : Texas flood, de Stevie Ray Vaughan
PS Cinema : je vous
conseille de voir ou revoir le film The Lady de Luc Besson, évoquant la lutte
d’Aung San Suu Kyi pour son pays, un film réaliste parait-il, adoré ici par les
locaux et évoquant plus que jamais le présent birman.
Merci pour ce 1/4 d'heure d'histoire. La casquette est bien assortie au pyjama tuk-tuk!!
RépondreSupprimerLes photos, toujours fascinantes avec des couleurs qui rafraîchissent!
Que la fortune soit bonne à ces Birmans comme à vous,
bye
Merci cher(e) inconnu(e), et à bientôt pour une nouvelle aventure formidable !
SupprimerJ'ai bien kiffé la prose du jour, mais plus particulièrement la photo du pont en bambou.
RépondreSupprimerD'ailleurs je tiens à signaler l'amélioration notable des photos prises, le cadrage et la netteté vont en s'améliorant! A se demander si ces photos ne sont pas prises par le nec plus ultra du marché!
Je remercie également les auteurs de toujours nous apporter un point d'histoire, comme ça on sort moins bête de la lecture.
Charpifion, tu me présentera ton collègue de route aussi?
Marcus